Réponse aux propos islamophobes de Pascal Bruckner

9:03 - February 13, 2017
Code de l'info: 3462349
Suite aux propos de Pascal Bruckner, tentant d’expliquer que l’islamophobie est différente de l’antisémitisme à cause des attentats, Karim Achoui réagit.
Réponse aux propos islamophobes de Pascal Bruckner
Pascal Bruckner, philosophe, penseur, et auteur de talent, que j’ai suivi et admiré, aimé lire et écouter, a déclaré : « Dire que le musulman d’aujourd’hui est dans la situation du juif des années 1930, c’est méconnaître que les juifs d’alors n’avaient pas pour ambition de mettre le monde a feu et à sang, ne jetaient pas des bombes dans les centres commerciaux, les aéroports, les gares. » Ces propos viennent ternir une pensée pourtant intéressante. Il ne s’agit pas de condamner aveuglément le penseur par des propos tirés de leur contexte, mais de tenter de comprendre le raisonnement de Bruckner, d’en pointer les failles, mais aussi les subtilités ; d’en discuter, dans une optique citoyenne.
Tout d’abord, Pascal Bruckner, sachez que « le » musulman d’aujourd’hui n’existe pas. Il n’y a, non pas « un », mais « des » musulmans, aujourd’hui. Il y a des identités et des entités plurielles et, en mettant tous les musulmans dans la même case, vous entrez finalement dans le jeu du communautarisme que vous semblez blâmer. De plus, les musulmans, en effet, ne vivent pas ce que vécurent les juifs dans les années 1930, et jamais il n’en a été question. Ceux qui dénoncent l’islamophobie ne se placent pas forcément dans une position victimaire abusive, vos insinuations ne sont pas très justes, permettez-moi de le signaler. J’ai, par exemple, affirmé à plusieurs reprises que, suite aux lumières de l’Histoire, nous éviterons toute forme de nouvel holocauste contemporain, que les musulmans ne vivraient pas ce que les juifs avaient vécu ; justement car, conscients des dérives racistes, nous les combattrons à la source, afin de ne pas laisser croître l’arbre du racisme.
« Vous sous-entendez que l’islamophobie est justifiée »
De plus, si j’affirme qu’on ne peut aujourd’hui nier le racisme qui s’exerce de plus en plus à l’égard des musulmans, ce serait méconnaître l’horreur de l’Histoire qui engendra un génocide abominable et causa la mort d’une partie importante du peuple juif, que d’affirmer que les musulmans aujourd’hui subissent le même sort. Minimiser l’horreur de la Shoah serait une abomination. Néanmoins, sans comparer, le sort des musulmans aujourd’hui, parfois, est réellement préoccupant, aussi, tout de même ! Etablir des liens entre islamophobie et antisémitisme, par contre, c’est encore autre chose ; et, ce rapport, non pas d’égalité mais de similitudes, me semble plus juste et pertinent. Il s’agit d’évoquer un besoin social, culturel, de se constituer dans l’opposition et je dirais même, malheureusement, par la stigmatisation et la désignation d’« ennemis », chose facilitée dans un contexte de crise où le prosélytisme fait son lit.
Ainsi, on peut percevoir des liens dans un schéma structurel sociologique entre antisémitisme et islamophobie, et observer une forme de passage d’un rejet du juif puis de l’antisémitisme, à un passage au rejet du musulman aujourd’hui qui se traduit de plus en plus sous forme d’une islamophobie. Ceci ne me semble, par contre, pas aberrant du tout ! Il ne s’agit pas de comparer l’Histoire des juifs et des musulmans en Europe, mais davantage de remarquer un processus de rejet envers une altérité désignée comme danger ; une altérité de référence qui prend les traits de la menace et contre laquelle on a tendance à manifester de la haine et de l’injustice dans un cadre de « crise. » Mais vous ne vous contentez pas de minimiser les violences et la stigmatisation, le racisme, vécu par les musulmans ; vous ajoutez, et c’est là que votre propos devient lui-même raciste, je trouve, que les juifs, eux, ne commettaient pas des attentats, ne mettaient pas le monde à feu et à sang. Sous-entendu : les musulmans, si. Sous-entendu : ce n’est pas la même chose… Et sous-entendu, en filigrane — ce qui pose problème : l’islamophobie est justifiée. Or, cela me semble périlleux.
Bien sûr, je perçois la subtilité de votre propos : vous ne dites pas simplement que les juifs n’étaient pas des terroristes, et que les musulmans le sont. Non ! Affirmer cela serait déformer vos dires, faire du buzz idiot et inutile, cela reviendrait à vous lire littéralement sans en percevoir la profondeur de votre pensée. Vous affirmez, plutôt, qu’aucun juif n’avait présenté de réel danger en Europe, qu’aucun ne s’opposait à celle-ci, qu’aucun ne commit d’attentats et que, donc, les rejeter était une relation réellement raciste à la judéité, un rejet d’une « race » gratuit, terrible. Là où, certains musulmans commettent aujourd’hui des attentats, sèment la terreur, et que, donc, ils créent finalement une peur en Europe qui génère une forme de rejet envers les musulmans; rejet issu de cette peur, et peur, justifiée. Le rejet des musulmans ne serait donc pas fruit d’une haine racialiste pure.
« L’’assimilation des terroristes aux musulmans est un raccourci, un amalgame et une fausseté absolus et dangereux »
Or, le terme « islamophobie », pour vous, a rapport au rejet de la « race musulmane » ; rejet raciste qui ne serait pas avéré selon vous donc, mais serait une seule et simple conséquence d’une peur des actes de certains musulmans. Il n’y aurait donc pas islamophobie véritable. Vous affirmer en fait que tout au plus, il y aurait rejet des musulmans, et encore, de certains musulmans mais pas réelle islamophobie. Vos propos sont loin d’être stupides et manichéens. Après tout, parler d’islamophobie, ne serait-ce pas faire le jeu de Daesh et d’un communautarisme possiblement périlleux, en mettant tous les musulmans dans le même panier ? Sauf qu’après longue réflexion, il me semble que non… Je crois qu’il existe une islamophobie qui, en effet, ne devrait pas exister comme vous le dites, et est absurde, mais pourtant elle existe et la formuler, c’est la reconnaitre ainsi que ses victimes : car, si cette réaction de rejet des musulmans est avant tout issue de la crainte des attentats — entre nous le racisme antimusulmans ne date pas d’hier non plus, et trouve ses prémices avant les attentats aussi qui, s’ils peuvent être vus comme amplificateurs du rejet des musulmans, n’en sont pas la seule cause je pense —, les individus ne devraient pas envisager un rejet des musulmans mais uniquement des terroristes. Hors l’assimilation des terroristes aux musulmans est un raccourci, un amalgame et une fausseté absolus et dangereux. Et, c’est donc ce rejet étendu du musulman par force de l’amalgame que l’on appelle « islamophobie » ; et si, originellement, ce n’est peut-être pas toujours un rejet de l’Islam qui est visé, en rejetant le musulman, en pensant faussement que c’est sa religion qui est responsable de ce qu’il est — et penser qu’il est un terroriste ou potentiel terroriste — s’exerce une véritable islamophobie.
Là où je ne peux vous rejoindre, c’est que donc, que si l’on suit votre pensée, au prétexte que des musulmans indignes et criminels minoritaires, sèment la terreur, nous justifierions finalement l’islamophobie, et même la nierions — car il n’y aurait pas de rejet raciste, mais un rejet social issu de la peur des individus qui réagiraient humainement par le rejet. Et donc, au prétexte qu’une minorité de personnes s’érigeant comme musulmans et venant salir l’Islam et ses pratiquants commettent des actes terribles, la majorité des musulmans ne pourrait être reconnus comme victimes d’une islamophobie qu’ils peuvent parfois subir, il faut le reconnaître. 
Karim Achoui, est un avocat franco-algérien et fondateur de la Ligue de défense judiciaire des musulmans.

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