Maroc : les écoles coraniques salafistes s'invitent au procès

7:06 - June 18, 2019
Code de l'info: 3469789
La partie civile invoque la responsabilité des écoles coraniques Al Maghraoui dans l'assassinat d'Imlil. Le nom de ce prédicateur salafiste revient avec récurrence dans l'affaire. Fermé en 2013, le réseau "Dar Al Kur'aan" a-t-il repris son activité ?
"L’affaire Imlil" remet les projecteurs sur la "Maison du Coran". Basé à Marrakech, ce réseau d’écoles coraniques est rattaché à  «l’Association Prédication pour le Coran et la Sunna». Au tribunal antiterroriste de Salé, la partie civile veut «faire intervenir» cette entité au procès des 24 accusés impliqués dans l’assassinat des deux touristes scandinaves.
 
La requête a été initiée lors de l’audience du 13 juin. A l’origine de la demande : Me Khalid El Fataoui. Avec Me Lhoucine Raji, il assiste les proches de la victime danoise Louisa Vesterager Jespersen.
 
"Nous réclamons la présence d’une partie essentielle dans ce dossier, à savoir l’association Prédication pour le Coran et la Sunna (…) en la personne de son représentant légal", a déclaré l’avocat au juge Abdelatif Amrani, appuyant sa demande d’un mémoire écrit.
 
Me El Fataoui invoque la responsabilité de l’association dans le drame d’Imlil. Pour lui, les causes de l’assassinat vont au-delà des accusés, qualifiant ces derniers de "24 corps pour autant de têtes vides". Ces "têtes ont été remplies" dans la même maison, accuse-t-il.
 
La partie civile en veut pour preuve «les déclarations judiciaires» des principaux accusés. «Ils ont unanimement affirmé avoir suivi des cours [religieux] dans cette école», soutient Me El Fataoui. Abdessamad El Joud, bourreau des deux jeunes touristes, fait notamment partie des disciples.
 
L’avocat fait valoir un deuxième argument : «En 2009, la cour d’appel administrative de Marrakech établissant qu’une centaine de personnes ayant fréquenté ces écoles ont fini par rejoindre des cellules terroristes».
 
La demande de l’avocat se base sur le mécanisme de «l’intervention forcée», qui permet de joindre un tiers à une affaire en cours de jugement. En l’occurrence, Me Fataoui voudrait impliquer l’association dans le volet civil du procès d’Imlil (action civile accessoire) et de ce fait, lui réclamer des dédommagements. La partie civile a déjà réussi à faire convoquer l’Etat via la même démarche. Pour l'heure, le juge Amrani n'a pas statué sur la deuxième demande. 
 
Al Maghraoui "agent" ou "agent double" ?
L’Association Prédication pour le Coran et la Sunna a été créée en 1975. Son fondateur est l’un des visages les plus connus et controversés de la sphère salafiste : le cheikh Abderrahmane Al Maghraoui.
 
Le nom de ce septuagénaire revient avec récurrence dans l’affaire Imlil. L’enquête policière l’identifie comme ayant été une cible de la cellule terroriste. Interrogés lors de l’enquête préliminaire, des accusés présentaient Maghraoui comme "un agent des services", ce qui justifiait selon eux sa «liquidation».
 
Un agent? Le récent récit de l’un des accusés relativise ce statut. Entendu à l’audience du 13 juin, Abdelaziz Faryat dépeint le cheikh plutôt comme un agent double : «Maghraoui a un visage qu’il montre à l’Etat, et un autre qu’il cache (…) Il a des idées extrémistes qu’il dissimule. Il n’est pas arrimé à Daech, mais ses opinions ressemblent à celles de Daech».
 
Selon Faryat, El Joud voulait même piéger Maghraoui pour dénoncer «son double visage». Il voulait «organiser un débat avec Maghraoui, le filmer en caméra cachée et diffuser la vidéo pour révéler» son «hypocrisie».
 
«Maghraoui a excommunié les institutions. C’est même l’une des priorités de l’idéologie salafiste», conclut Faryat, qui a lui-même fréquenté «Dar Al Kur'an».
 
Officiellement fermées, mais…
Officiellement, les écoles Maghraoui sont interdites depuis une décision judiciaire rendue en 2009 (arrêt du 25 novembre 2009, Cour d’appel administrative de Marrakech.) Mais jusqu’à la fin juin 2013, l’association Al Maghraoui refusait encore de fermer ses écoles à Marrakech, malgré les ordres du ministère des Habous.
 
En juillet de la même année, le ministère avait finalement forcé la fermeture en recourant à la force publique. Des scellés avaient été apposés sur ces établissements.
 
Cette fermeture était motivée par le fait que Maghraoui refusait la tutelle du ministère des Habous et n’avait pas demandé d’autorisation qui aurait conféré la légalité à son activité. Pourtant, cette démarche avait été rendue obligatoire par la loi relative à l'enseignement traditionnel (atta’lim alatik), texte datant de 2002.
 
Cette même loi attribue au ministère des Habous le contrôle de l’enseignement destiné au public et portant sur la religion, notamment pour l’apprentissage du Coran. Son statut d’association et la nature de son activité (cours religieux) font qu’aujourd’hui le réseau Maghraoui est soumis à une double tutelle : celle du ministère des Habous et celle du ministère de l’Intérieur.
 
A quelques jours des législatives de 2016, Cheikh Maghraoui avait annoncé la réouverture de ses écoles, tout en appelant à soutenir les candidats du PAM à Marrakech. A l’époque, Médias24 avait révélé qu'aucune autorisation ne leur avait été accordée. En réalité, une première école avait effectué sa réouverture, de manière opaque et illégale, mais tout le réseau d'écoles est resté fermé, y compris cette école.
 
La situation a-t-elle changé récemment? L’association a-t-elle régularisé sa situation ? Médias24 n’a pas pu le vérifier auprès du principal concerné, resté injoignable. En consultant la page Facebook de l’association (Maison du Coran de l’Association Prédication pour le Coran et la Sunna), on constate néanmoins que le réseau se déploie toujours dans la ville ocre. Sur cette page qui accueille plus de 15.000 abonnés, des cours religieux sont régulièrement annoncés.
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