«Le Luxembourg peut être un hub pour les sukuks»

10:18 - November 12, 2019
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Après Londres l’an dernier, la Banque islamique de développement organise son «Sukuk Summit» au Luxembourg ce lundi. Bandar Hajjar, président de l’institution multilatérale, évoque les perspectives d’un marché sur lequel le Luxembourg continue de caresser des espoirs.
Pouvez-vous nous résumer en quelques mots ce qu’est la Banque islamique de développement?
 
Bandar Hajjar. – «La Banque islamique de développement est une banque multilatérale de développement qui existe depuis 45 ans et qui a pour but d’améliorer la vie des populations et communautés concernées dans 57 pays membres localisés sur quatre continents.
 
Ces pays font partie des plus riches au monde, mais 26 sont aussi parmi les plus pauvres. En complément de nos membres, nous comptons aussi sur différentes communautés musulmanes. Ce qui fait que nous touchons quelque 1,7 milliard de personnes à travers le monde.
 
Comment la banque vient-elle concrètement en aide aux pays les plus pauvres qui en sont membres?
 
«Nous finançons des projets dans différents domaines, par exemple l’agriculture, les infrastructures, l’éducation ou encore la santé… soit quelque 10 milliards de dollars d’investissements par an. Ce qui est en lien avec notre conférence sur les sukuks à Luxembourg.
 
Ce marché est l’un dont la croissance est la plus remarquable parmi la finance islamique. Il représentera quelque 20% de notre industrie à la fin 2020. Selon les données de Bloomberg, le volume d’émission de sukuks en 2017 était de 137,49 milliards et de 124,45 milliards de dollars en 2020.
 
Comment expliquer cet intérêt grandissant pour le marché des sukuks?
 
«La finance islamique veut faire le pont entre ce que nous pouvons qualifier ‘d’économie réelle’ et le secteur financier. Elle promeut le partage des risques au travers d’une sorte de partenariat dans le financement de projets.
 
Concrètement, le niveau de risque que peut accepter la finance islamique ne peut pas excéder la valeur réelle de l’actif physique concerné. La hausse de l’intérêt pour les sukuks s’explique aussi par une demande pour financer de nouveaux projets au travers de ce type de véhicule.
 
De quels types de projets?
 
«Il s’agit principalement de projets d’infrastructures. Nous travaillons aussi au développement des ‘green sukuks’. C’est une nouveauté pour notre banque dans laquelle nous avons créé une division dédiée au changement climatique. Nous avons rejoint le groupe de travail de la Banque mondiale sur le changement climatique en 2017 et notre conseil d’administration a aussi approuvé une politique de financement à l’égard du changement climatique en février dernier.
 
La prochaine étape consistera dans le lancement d’un plan d’action dédié au climat durant la COP25 (qui se déroulera à Madrid du 2 au 13 décembre prochain, ndlr). Nous lancerons aussi notre premier ‘green sukuk’ à cette occasion, nous y reviendrons aussi durant notre conférence à Luxembourg.
 
Pourquoi la finance islamique est-elle encore vue comme une niche?
 
«La finance islamique ne doit justement pas être vue comme une niche mais un moyen de réaliser des investissements sur base de considérations éthiques au bénéfice des populations musulmanes et non musulmanes. De plus en plus de consommateurs ou investisseurs recherchent des investissements en fonction de critères éthiques et d’impact en plus des considérations financières.
 
La finance islamique peut faire valoir son expérience à cet égard. Nous travaillons d’ailleurs actuellement sur un rapport global qui devrait être publié d’ici avril prochain pour se projeter dans le futur de la finance et de la chaîne de l’intermédiation financière à l’horizon 2030, pour imaginer les changements possibles dans un monde digitalisé.
 
Il y a presque 10 ans, la finance islamique était vue au Luxembourg comme un nouveau pilier de développement de la place financière. Quelques fonds et l’émission d’un sukuk ont eu lieu, mais sans que la vague prévue n’arrive. Comment expliquez-vous ce constat?
 
«Si nous remontons à 1975 lorsque la Banque islamique de développement a été créée, le paysage bancaire islamique était quasiment inexistant. La Banque a dû se battre sur deux fronts en même temps: bâtir une banque multilatérale et fournir des financements en accord avec les principes de la charia. La situation actuelle est totalement différente. L’année dernière, nous avons organisé à Londres notre premier sommet dédié aux sukuks.
 
Et nous continuons à voir l’intérêt de la part de pays non musulmans, comme le Luxembourg, qui cherchent à adapter leur réglementation et leurs lois pour encourager l’établissement de produits en ligne avec la finance islamique. C’est quelque chose d’encourageant pour notre banque et c’est pourquoi nous organisons ce sommet à Luxembourg cette année.
 
Cet écart entre les ambitions et la réalité serait à reconsidérer sur une échelle de temps plus longue?
 
«Nous devons reconnaître que nous avons des défis à relever. Certains de ces défis sont liés à des questions de liquidité ou encore un manque de support de la part des régulateurs dans certains pays. Nous évoquerons ces défis également durant la conférence pour tenter de trouver des solutions pour élargir le marché des sukuks, pour lequel nous pensons que le potentiel de développement reste énorme à travers le monde.
 
Qu’attendez-vous du Luxembourg?
 
«Nous entendons profiter du sommet pour discuter avec le ministre des Finances de ces enjeux pour envisager comment nous pourrions mieux travailler ensemble. Nous réfléchissons à la proposition d’un nouveau régime fiscal pour le lancement de nouveaux sukuks au Luxembourg sur lequel nous comptons nous appuyer en raison de son expertise en tant que centre financier.
 
Le Brexit peut-il rebattre les cartes et faire du Luxembourg un «hub» de la finance islamique?
 
«Oui, je pense. Tous les éléments sont réunis au Luxembourg pour être un hub du marché des sukuks. Sur base des échanges que nous avons déjà eus avec le ministère des Finances, nous sentons que l’ouverture d’esprit est présente pour poursuivre les discussions en ce sens. C’est le bon moment pour le faire.»
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