Les Émirats arabes unis misent sur « la tolérance »

8:41 - December 15, 2019
Code de l'info: 3471387
Les Émirats arabes unis multiplient les déclarations et les projets en faveur de la « coexistence religieuse ».
Quelles sont les initiatives ?
 
Les sommités mondiales du dialogue interreligieux étaient toutes là. Du 9 au 11 décembre, le Forum pour la paix dans les sociétés musulmanes a tenu sa sixième édition à Abu Dhabi en présence de plusieurs centaines de responsables religieux, politiques ou d’ONG du monde entier. Le thème - « Le rôle de la religion dans la promotion de la tolérance : de la possibilité à la nécessité » - a montré la volonté des organisateurs de passer du discours à l’action.
 
« Nous, aux Émirats arabes unis, croyons que la tolérance est l’incarnation la plus élevée des idéaux islamiques », a assuré en ouverture le ministre de la tolérance, Nahyan bin Mubarak Al Nahyan, avant une journée de travail sur « la protection des lieux de culte ».
 
Un Comité supérieur pour la fraternité humaine
La semaine précédente, c’est une initiative pour « la fraternité humaine » à laquelle ce pays de la péninsule arabique avait apporté son soutien. Mercredi 4 décembre, une petite délégation interreligieuse emmenée par le cardinal Miguel Ayuso Guixot, président du Conseil pontifical pour les relations interreligieuses, et par Mohamed Abdel Salam, un ancien conseiller du grand imam d’Al-Azhar, était allée rencontrer le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, à New York.
 
Au nom du « Comité supérieur pour la fraternité humaine » créé à l’été 2019 dans la foulée de la visite du pape François à Abu Dhabi, ils lui ont demandé « de déclarer le 4 février Journée mondiale de la fraternité humaine ».
 
Quel est le contexte ?
 
Le discours sur la « tolérance » est devenu « non seulement une rhétorique extrêmement prégnante aux Émirats arabes unis, mais aussi un projet politique, social et économique », explique l’anthropologue Laure Assaf, professeur assistante à la New York University d’Abu Dhabi. « Il a connu une véritable explosion depuis la loi contre les discriminations et la haine de 2015 qui est toutefois à double tranchant : elle prohibe les discriminations fondées sur la religion, la caste, la foi, la doctrine, la race, la couleur ou l’origine ethnique ; mais elle vise aussi à punir « l’intolérance » en criminalisant les discours considérés comme insultants ou haineux à l’égard des religions, y compris en ligne ».
 
Le projet d’une « Maison de la famille abrahamique »
Création d’un « ministre de la tolérance » en 2016, d’une « année de la tolérance » en 2019, visite de François la même année, la première d’un pape dans la péninsule arabique... Depuis les initiatives s’enchaînent. Les émirats mettent également en avant leur projet pharaonique de « Maison de la famille abrahamique ». Il doit réunir - sur une île d’Abu Dhabi et autour d’une même place centrale - une mosquée, une église, une synagogue et un centre de formation.
 
Pour la chercheuse, ces initiatives - qui s’ajoutent à d’autres sur le plan militaire ou diplomatique comment l’engagement aux côtés de la coalition internationale contre Daech - « participent à la création d’une image internationale des Émirats comme un pays musulman modéré, qui promeut la coexistence pacifique entre les différentes communautés religieuses ».
 
Les Émirats - dont 88 % de la population est étrangère - se présentent volontiers « comme un exemple réussi de coexistence, qui réactive un imaginaire du cosmopolitisme oriental. L’émir de Dubaï, par exemple, compare sa ville à la Cordoue d’Al-Andalus », remarque Laure Assaf.
 
Apparaitre comme une oasis de tolérance
Dans un pays préoccupé par la préparation de l’après-pétrole et la diversification de son économie, l’intérêt d’apparaître « comme une oasis de tolérance religieuse dans un environnement marqué par la montée de l’extrémisme » est évident, souligne le politologue Stéphane Lacroix, qui a écrit un article sur le sujet en mars. « Cette politique religieuse est le pendant du modèle économique adopté par les Émirats : celui d’une économie ouverte, mondialisée, désireuse d’attirer les investisseurs et les expatriés dans un environnement où ils se sentent à l’aise ».
 
Les étrangers considèrent généralement Abu Dhabi et Dubaï « comme des lieux de travail et de résidence plus attractifs que l’Arabie saoudite ou le Qatar par exemple », remarque Laure Assaf.
 
Comment comprendre cette « tolérance » ?
 
Dans les discours, récurrents, des autorités politiques et religieuses locales, le terme revient sans cesse, toujours associé à celui - difficile à définir - de « modération religieuse » et opposé à « l’extrémisme » et au « fanatisme » religieux.
 
La diversité de l’islam est peu mentionnée
Paradoxalement, cette tolérance s’adresse davantage aux autres religions - « principalement les autres religions monothéistes ». Et le discours de tolérance religieuse n’inclut pas la diversité religieuse au sein de l’islam, évitant de mentionner les différents courants et écoles islamiques.
 
Cela va de pair avec le contrôle de l’État émirien sur les affaires religieuses qui s’étend de l’éducation islamique aux sermons du vendredi, étroitement contrôlés par une autorité qui en fournit les thèmes et les sources. Depuis 2011, des vagues d’arrestations ont visé les collectifs et individus suspectés d’appartenir à des groupes que le gouvernement émirien considère comme extrémistes, tels que les Frères Musulmans.
 
Pour Stéphane Lacroix, cette politique résulte surtout de la crainte d’une possible contagion interne des printemps arabes. Elle sert aussi de « justification idéologique » à la lutte très politique qui oppose les Émirats arabes unis au Qatar et aux Frères musulmans. Elle permet en outre de s’attirer « le soutien des pays occidentaux, qui voient d’un œil favorable les efforts émiriens pour ’contrer l’extrémisme violent’ ».
la-croix
captcha