Les Lycéens en France contre l’islamophobie

7:59 - March 06, 2021
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Téhéran(IQNA)-La publication le 3 mars 2021 en France d’un sondage IFOP au sujet du rapport de la population lycéenne à la laïcité a mis notamment en évidence des jeunes majoritairement favorables au port du voile dans les lycées, et une vision très « ouverte » et dépolitisée de la laïcité. De même que des lois « laïques » perçues par beaucoup comme discriminatoires envers les musulmans. L’étude révèle un rejet de l’instrumentalisation de la laïcité en France.

La publication de ce sondage à grande échelle a insurgé une partie française de la Toile concernant le « recul de laïcité ». A titre d’exemple, Jordan Bardella du Rassemblement National (RN de Marine Le Pen) s’est empressé de dénoncer « le basculement civilisationnel à l’œuvre ». Appuyé par le fondateur du populaire site médical Doctissimo, chroniqueur et figure de l’ex-Démocratie Libérale, Laurent Alexandre, qui déclare que « la jeunesse, dont les racines musulmanes s’affirment, rejette la laïcité ». Dans le climat de poussée islamophobe et de crispation sécuritaire dans l’Hexagone, le sondage ne pouvait pas manquer de faire réagir.

Mais que contient vraiment l’étude, sensée exprimer un net « recul de la laïcité » chez les lycéens ?
Le sondage a été commandé par la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) et la revue Droit De Vivre (DDV), en appui à un numéro commun en mars 2021 sur la laïcité.

Selon le DDV, l’objectif était de « mieux cerner la place que les lycéens accordent aujourd’hui à la religion, le sens qu’ils donnent à la laïcité dans l’enceinte scolaire mais aussi leur point de vue sur le droit de « blasphémer » à la manière d’un journal satirique comme Charlie Hebdo ». Une étude d’entrée orientée, et dont le titre « Droit au blasphème » et les mots-clés laïcité, liberté d’enseignement et la question les lycéens d’aujourd’hui sont-ils « Paty » ? annoncent clairement la couleur. Le sondage, qui s’appesantit sur plusieurs aspects relatifs à la religion, permet de « mettre en exergue un double clivage -celui entre les jeunes et le reste des Français d’une part, celui entre les jeunes musulmans et le reste de la jeunesse d’autre part ».

Mais à bien lire les réponses des enquêtés, on s’aperçoit que les résultats expriment moins un « rejet de la laïcité » qu’un refus de son usage comme outil de stigmatisation des minorités, notamment musulmanes.
En examinant le rapport aux signes religieux ostentatoires, la perception de la laïcité et des lois inhérentes, la question du blasphème, le rapport à l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty et aux attaques terroristes contre Charlie Hebdo, il ressort que la nouvelle génération lycéenne aspire plutôt à un traitement plus égalitaire des différentes religions. Ainsi, concernant le port de signes ostensibles, les lycéens interrogés sont largement plus favorables à leur autorisation dans la fonction publique et le milieu scolaire que le reste de la population.

Pour les parents d’élèves accompagnant les enfants en sortie scolaire, les élèves dans les établissements publics et les agents des services publics, le taux d’adhésion des lycéens est en moyenne deux fois plus élevé que le reste de la population française : 57 % d’entre eux sont pour le port de signes manifestes pour les parents d’élèves accompagnant les enfants en sortie scolaire contre 26 % pour l’ensemble des français, et 52 % des lycéens sont pour autoriser ce port dans les lycées publics, contre 25 % pour l’ensemble des français. Ce qui a semblé révolter le Web, c’est les réponses des élèves musulmans à cette question, et qui sont largement favorables à l’autorisation des signes évidents : 90 % d’entre eux sont pour concernant les parents en sortie scolaire, et 88 % pour les lycées publics !

Discrimination régulière
D’un point de vue réaliste, ces chiffres doivent être liés au contexte politique dans lequel ils s’inscrivent, vu que ces dernières années ce n’est pas le port de la croix chrétienne ou de la kippa juive qui sont largement ciblés, mais bel et bien le port du voile musulman. Tandis que l’interdiction en 2004 des « signes ostentatoires » à l’école masquait en fait un projet visant directement le voile. S’en sont suivi des polémiques régulières au sujet de la participation de mères voilées à l’accompagnement de leurs enfants en sortie de classes, avec le ministre de l’Education Michel Blanquer en première ligne de combat politique. Ce taux d’adhésion parait, in fine, révélateur d’une discrimination régulièrement subie et fortement ressentie par la population musulmane ou assimilée, et de la volonté d’y mettre un terme.

De même, les différentes lois associées à la laïcité (1905, 2004 et 2010) sont perçues par 37 % des lycéens interrogés comme discriminatoires envers la population musulmane. Et pour citer le DDV : « Ce sentiment n’est pas l’apanage des musulmans (81 %) : il est également partagé par beaucoup d’élèves scolarisés en zone d’éducation prioritaire (55 %), en lycée professionnel (43 % en bac pro) ou se percevant par les autres comme « non blancs » (64 %) ». Rien d’étonnant donc lorsqu’on observe que la jeunesse racisée dans les quartiers populaires fait face, au quotidien, au racisme et à l’islamophobie, parfois sous couvert de « laïcité » ou de « non respect des valeurs de la République ». L’exemple le plus récent du passage de ces discriminations sur le terrain législatif est la loi sur le séparatisme, dont le nom a changé pour devenir une loi « confortant les principes républicains ».

A l’inverse, la conception de la laïcité, qui est le corollaire de ces positions, est claire dans le sondage. De fait, la manière dont la laïcité est définie et perçue par les lycéens est à l’opposée de la laïcité militante, la laïcité de « combat » des laïcards que certains politiques défendent.

Les résultats du sondage montrent en effet que seuls 11 % des élèves interrogés définissent la laïcité comme outil pour « faire reculer l’influence des religions », contre 26 % pour l’ensemble des français. Au contraire, 29 % d’entre eux voient la laïcité comme devant « mettre toutes les religions sur un pied d’égalité », 27 % la définissent comme permettant « d’assurer la liberté de conscience », et 27 % encore l’appréhendent comme « séparant les religions de la politique ». Alors que le DDV décrit ces résultats comme « une vision dépolitisée de la laïcité », ils semblent au contraire correspondre à l’esprit de la loi de 1905. De même, lorsque le DDV écrit que « l’association de la laïcité à l’absence de discrimination entre les croyants est particulièrement forte dans les rangs des adeptes des religions minoritaires (38 %) – notamment les élèves de confession musulmane (37 %) – », il paraît assez limpide de comprendre donc l’aspiration claire que sous-tend ce résultat.

Au final, difficile de faire plus orienté que cette étude de François Kraus, le directeur du pôle Politique/Actualités de l’IFOP qui analyse les résultats comme exprimant un « double clivage » qui résulterait selon lui d’une croissance de la population musulmane en France, mais aussi d’une « américanisation des mentalités » impactant du coup « l’acceptation des expressions religieuses dans l’espace scolaire ».

A l’inverse, et pour notre part, il est possible d’analyser ce « double clivage » comme traduisant l’injustice spécifique subie et ressentie par la population musulmane, qui est un des facteurs déterminants de leur rapport au traitement de la religion dans la société. De même qu’une ardente aspiration à l’égalité et un rejet par une partie de la jeunesse musulmane de l’utilisation de la laïcité comme moyen d’exclusion des minorités.

Le Jeune Indépendant

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