Tariq Ramadan : La politique intérieure de la France tend à se rapprocher de l’extrême-droite

8:24 - September 30, 2022
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Téhéran(IQNA)-Dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu, le professeur et islamologue suisse revient sur le climat politique en France, imprégné, selon lui, d'une "islamophobie d'Etat".

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs français ont fait adopter des lois ou mis en place des mesures qui ont eu pour principal effet de limiter les droits des citoyens de confession musulmane.

Si naturellement la question de l’islam, et celle de sa visibilité et de sa pratique ne peuvent pas être mentionnées ouvertement dans les textes, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien de ce dont il est question.

Que l’on parle de l’état d’urgence et de la retranscription de ses mesures d’exception dans le droit commun, ou encore de la loi contre un prétendu séparatisme, les objectifs sont clairs.

Pour autant, depuis plusieurs semaines le discours politique s’est à nouveau clairement durci, au moment opportun où l’Exécutif français prépare une nouvelle loi relative à l’asile et à l’immigration pour en restreindre davantage les conditions d’accès.

Dans un entretien à l’Agence Anadolu, le professeur et islamologue suisse, Tariq Ramadan, est revenu en détail sur les dernières séquences politiques comme médiatiques.

- Une politique d’extrême-droite déjà en vigueur à l’égard des musulmans

À l’heure où la France et l’Europe s’inquiètent de voir la candidate d’extrême-droite, Giorgia Meloni, accéder à la tête du gouvernement italien, Tariq Ramadan estime qu’il est important de noter que la politique intérieure menée par Paris, est « de plus en plus restrictive et tend à se rapprocher de l’extrême-droite depuis des années déjà ».

« On peut traduire ce constat par une islamophobie d’Etat illustrée par le fait de faire en sorte que tout musulman qui s’engage dans sa religion ou qui la pratique normalement de manière visible, est suspect au point que ses propos puissent être criminalisés » poursuit le conférencier, citant notamment l’exemple d’un « imam expulsé pour avoir repris des versets contenus dans le Coran ».

Il note par ailleurs que « la France a l’air de considérer comme dangereux ce qui se passe ailleurs sans voir que l’ensemble du positionnement politique de la droite traditionnelle (incluant la majorité présidentielle), est en train de prendre des positions qui se rapprochent de ce qui était dit, hier encore, par l’extrême-droite ».

Et pour illustrer son propos, Tariq Ramadan indique que « dans les propos de la future première ministre italienne, issue de l’extrême-droite, il y a des positions que l’on entend en France, y compris dans la bouche de l’actuel ministre de l’Intérieur français notamment concernant la réalité islamique en Europe ».

S’agissant des diverses « campagnes médiatico-politiques et médiatico-judiciaires » il assure que « tout est fait pour qu’il soit su par tous, que l’on ferme des mosquées et des associations comme s’il y avait une compétition idéologique avec les partis les plus à droite ».

« On a une compétition aujourd’hui et la volonté, en même temps que l’on répond à la peur, de pouvoir préserver un électorat et cet électorat tend davantage sur la droite à cause de cette image qu’on distille de l’islam qui fait que tout musulman pratiquant est suspecté de radicalité et de séparatisme puisque pratiquer est devenu un signe de démarcation et de remise en cause de la citoyenneté » conclut l’islamologue à ce propos.

- L’affaire Hassan Iquioussen, symbole « d’une instrumentalisation »
S’il y a bien une affaire qui a occupé les médias français tout au long de l’été, il s’agit de celle relative à l’expulsion de l’imam d’origine marocaine, Hassan Iquioussen.

Suspendue en premier lieu par le tribunal administratif de Paris, la procédure d’expulsion diligentée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a finalement été validée, de manière provisoire, par le Conseil d’Etat français fin août.

« Il est évident que l’affaire Iquioussen s’inscrit dans le contexte particulier que l’on connaît et qui relève d’une instrumentalisation qui intervient dans une séquence politique temporelle précise », analyse Tariq Ramadan.

Soulignant que « le parti présidentiel n’a pas de majorité à l’Assemblée et qu’il doit désormais s’appuyer sur d’autres mouvements », il rappelle qu’il existe en France « tout un pan idéologique qui sait qu’il peut s’entendre sur la question de l’immigration ».

Si les attaques politiques qui ont visé Hassan Iquioussen sont venues principalement de droite et d’extrême-droite, Tariq Ramadan note que « la gauche a également été très mal à l’aise sur le fait de se positionner dans cette affaire », allant même jusqu’à suggérer de changer le droit s’il ne permettait pas, en l’état, d’aller au bout de son expulsion.

« Mais la surenchère sur l’affaire Iquioussen n’est pas une question de droit », tranche l’islamologue pour qui il s’agit d’un « mélange politique et médiatique qui fait qu’on voulait que les caméras soient là » pour assister à son expulsion et à toute la procédure mais il est clair que « ce qui a gêné ce n’est pas qu’il parte mais que médiatiquement il ait disparu et que son cas ne puisse plus être instrumentalisé ».

- Quelles solutions pour endiguer la fuite en avant ?
Si la parole de Tariq Ramadan reste aujourd’hui bridée par un boycott médiatique français, ses conseils, cours, conférences en ligne et pistes de réflexion demeurent très suivies des jeunes, notamment sur les diverses plateformes de réseaux sociaux.

Et après chaque épisode politique d’islamophobie, il est naturellement sollicité par ceux qui le suivent, pour certains depuis près de quarante ans, à travers ses enseignements.

« Beaucoup de leaders ont peur et ne savent plus très bien comment réagir » vis à vis de la politique islamophobe déployée dans le pays, a-t-il déploré au cours de son entretien à l’Agence Anadolu.

S’il sait que « les pistes sont extrêmement difficiles » puisque « depuis des années on teste les réactions en s’attaquant à des figures musulmanes, des associations, des mosquées en s’apercevant que la peur prend le dessus sur la revendication du droit ».

Tariq Ramadan considère néanmoins qu’en « acceptant d’avoir moins de droits que les autres, et d’avoir systématiquement à prouver qu’on est plus républicains que les républicains, on se rend compte que le leadership musulman n’est pas à la hauteur du défi en France ».

« Il faut espérer que des cadres musulmans, des citoyens et des leaders musulmans reviennent aux fondamentaux pour sortir de l’acceptation d’un droit restrictif qui stigmatise une partie de la population » via « des démarches juridiques, un discours médiatique beaucoup plus construit et un discours politique beaucoup plus indépendant qui permettrait de sortir du vote émotif », conclut l’islamologue suisse en guise de piste de réflexion.
Anadolu

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