À l’écouter, on perçoit combien il demeure attaché à l’Algérie, son pays natal où il se rend souvent comme en un pèlerinage. Au cours d’un entretien convivial, il n’a pas, de prime abord, caché sa satisfaction de séjourner dans une ville d’Alger qui s’épanouit, et d’en évoquer des réminiscences de jeunesse dans une cité qui recèle un potentiel naturel et d’écologie qui fait sa force.
Le recteur de la Mosquée de Paris ne s’est pas exonéré de parler d’une foule de sujets qui accaparent son attention, et son activité, en particulier la situation des musulmans de France, leur espoir et ambition, de revenir sur la vocation de l’islam. «C’est une religion qui offre un cadre de dialogue, qui bannit la notion de prévalence entre les humains. C’est une religion d’une extrême modernité», souligne-t-il, non sans observer qu’actuellement, et en particulier, ce sont les musulmans et les Arabes qui sont combattus, surtout après les attentats, en France, perpétrés le 7 janvier dernier. «Pour la France, le 7 janvier est un 11 septembre multiplié par deux ou trois. C’est un prétexte», avance-t-il, pour faire payer aux musulmans ce qu’ils n’ont pas fait. On a réveillé une volonté d’humilier une communauté, dans le but de masquer, en Europe, ses propres contradictions, sa propre violence.
Avec une grande lucidité, M. Dalil Boubekeur indique qu’en France, il y a 7 millions de personnes de confession musulmane. La pratique du culte s’effectue dans 2.200 lieux de prière, dont 400 à 450 mosquées dignes de ce nom. À côté de cela, combien de lieux de prière non terminés, de caves insalubres, de salles de prière absolument inadéquates, combien de projets laissés en souffrance, si bien, qu’aujourd’hui, les musulmans qui ne trouvent pas de salles de prière pour accomplir leur devoir religieux le vendredi sont contraints de prier dans la rue. Pour servir de palliatif, on accorde une caserne, celle de la Villette, qui peut accueillir 18.000 à 20.000 personnes.
Pour le recteur de la Mosquée de Paris, la caserne est un pis-aller. «Il n’y a que ça», tente-t-il d’expliquer. «On laisse des salles de prière clandestines, non contrôlées, non autorisées qui tombent sous la coupe de salafistes qui s’exercent avec notre jeunesse qui n’a pas besoin d’être exaltée ou excitée par le biais d’un islam politique, de nature djihadiste, intolérant. Mais, dans ce manque de mosquées, on trouve de bons imams, où l’on n’apprend pas à tuer, à transgresser les préceptes du saint Coran. Nous pouvons tenir une mosquée ouverte à tout le monde. On reçoit des Turcs, des Albanais, des Africains qui viennent en grande masse dans la mosquée, parce qu’ils savent qu’on les considère comme des frères.» Il en a pour preuve, qu’ici, en Algérie, les gens ont appris à vivre ensemble, en dépit des différences. «En islam, la volonté de Dieu fait que les gens soient différents. On doit le remercier de la vie qu’il nous a donnée», clame-t-il. «En France, il y a une communauté musulmane provenant de divers pays. Il y a une entente, mais chacun pense à son pays, à son originalité. Après le 7 janvier, on a activé une nouvelle forme de discussion sur les musulmans pour mettre en place une instance dont il avoue son inefficacité», indique-t-il.
«La France est un pays laïque, normalement, il n’a rien à voir avec le culte. C’est l’affaire des musulmans. On ne peut pas accepter d’un État laïque qu’il impose la laïcité pour dire ce qui doit être fait.» M. Boubakeur relève une ambigüité, une incohérence, voire une contradiction entre la loi telle qu’elle est dite en France, appliquée envers la communauté musulmane. «D’un côté, on considère que la laïcité est sacro-sainte, et, de l’autre, on est face à un État qui ne se gêne absolument pas à nommer. Pourquoi, ce comportement vis-à-vis des musulmans ?» s’interroge-t-il. Des musulmans qui, semble-t-ils, sont incapables de se prendre en charge.
Pour M. Boubekeur, l’islam est la deuxième religion de France, c’est surtout la plus vivante et la plus dynamique. «Par conséquent, nous croyons que les musulmans veulent avoir des lieux de prière propres et dignes pour pratiquer, dans la paix, leur religion. Les musulmans de France sont composés à plus de 60% d’Algériens qui ont eu beaucoup de raisons à vivre en France. Ils ont beaucoup donné de leur sang, de leur santé, de leurs mutilations, de leur sueur, pour construire des usines, des routes, des voitures. Ils ont été maigrement payés. Mais, malheureusement, les musulmans n’ont pas eu leur part du gâteau.»
Toutes les brimades, les stigmatisations, les amalgames leur sont réservés. Dans les cités, les lieux d’habitation massive, on leur donne des HLM, des murs de béton, les écoles ne sont pas à la hauteur. Il y a le chômage, la rue, la criminalité et, fatalement, la prison qui devient une espèce de pouponnière pour former des djihadistes et des intégristes.
S’agissant des médias et de leur rapport avec la communauté musulmane de France, M Boubekeur estime que ces moyens d’information font souvent dans le sensationnel.
D’une manière générale, cette médiatisation est absolument négative qui a fini par lasser les gens de confession musulmane. C’est d’autant plus vrai, qu’il y a des réussites. Notre interlocuteur révèle qu’il y a au moins 150.000 jeunes chefs d’entreprise dans tous les domaines. M. Boubekeur se réjouit du fait que dans ce nombre, il y a des filles qui constituent un élément très positif. «Cette jeunesse en France est l’avenir dans une Europe qui vieillit. On a des valeurs, de bons médecins, des économistes. Doit-on faire silence sur des noms qui nous font honneur ?»
elmoudjahid