Talibés à Dakar : entre quête spirtuelle et survie quotidienne

12:07 - September 18, 2025
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IQNA-À Dakar, les « talibés » sont une figure familière du paysage urbain. Ils font partie du décor de la capitale. Ces écoliers du Coran, « ndongo daara », mènent une double vie qui est la quête spirituelle profonde qui se conjugue à la dure réalité de la mendicité quotidienne : une nécessité pour leur survie.

Vendredi 29 août, sur l’allée du grand mausolée de Seydina Limamou Laye à Yoff, l’environnement est lourd de spiritualité. C’est ici entre les ruelles, que Thierno Bocar, neuf ans, se faufile, boite de conserve en main, en quête d’aumône. Son visage innocent contraste avec ses habits déchirés. Avec une maturité désarmante, il lance : « Je viens de la Guinée Bissau mais actuellement mon papa est en Libye. Je suis talibé et élève en même temps. J’étudie à l’école Taïba de Dior. Je suis en classe de CP, » dit-il avec un bon sens qui force l’admiration. Le destin de Thierno, à la croisée du savoir religieux et de l’éducation moderne, n’est pas une exception dans ce quartier de Dakar.

Il est 12h passées de quelques minutes, le soleil, à l’approche de la prière du vendredi, déploie ses rayons ardents sur les allées de Yoff Layenne. L’air, chargé d’une brise marine humide, est étrangement calme, comme en suspens avant l’appel à la prière. Le silence n’est pourtant pas total. Le bruit des vagues qui s’écrasent sur la grève se mêle doucement au murmure lointain de la vie du quartier. C’est dans ce décor à la fois serein et bouillonnant que se dresse, en face de l’océan, un bâtiment qui semble porter le poids des ans. Ses murs décrépis, ses fenêtres à ciel ouvert et son entrée désordonnée ne laissent rien deviner de l’activité intense qui se déroule à l’intérieur. De l’extérieur, on ne distingue que l’essence du lieu. Des ardoises coraniques posées çà et là et un enchevêtrement de chaussures usées qui témoignent d’une vie collective, simple, presque spartiate.

Quête de subsistance et tradition
Assis sur un tabouret à l’entrée, Alpha Abdulahi Sy semble faire corps avec le lieu. Trentenaire au regard grave et aux traits creusés, celui qu’on surnonmme Seydi Sy est le maître de ce daara. Depuis 2017, il a fait de l’enseignement du Coran le fil conducteur de sa vie. « Je ne vis que du daara car j’étais d’abord talibé avant de devenir maître » explique-t-il d’une voix posée mais ferme. Ses paroles sont à la fois une profession de foi et le reflet d’une dure réalité économique. « Ici on étudie du samedi au mercredi. Les enfants ont deux jours de repos : les jeudis et vendredis. C’est ça notre week-end. », précise-t-il le visage marqué de sueur.

Soudain, le calme est rompu par le bruit des enfants qui font irruption dans le bâtiment. Un groupe de jeunes garçons, les talibés, entre un par un. Les pieds poussiéreux, leurs visages marqués par la chaleur de dehors s’illuminent d’un mélange de respect et de soulagement en croisant le regard de leur maître. En petit fil indien, ils s’avancent pour le saluer d’une main déférente et déposent à ses pieds les sachets de biscuits qu’ils ont récoltés.

D’autres lui tendent des pièces de monnaie et quelques billets de banque. Ils rentrent de leur tournée de mendicité quotidienne, une tradition qui, selon Alpha Abdulahi, est une nécessité vitale. Le maître coranique explique que les enfants sortent mendier pour subvenir à leurs besoins, car ils ne reçoivent aucune aide extérieure. « Actuellement, il y a à peu près 200 talibés ici. Donc il faut les nourrir, les entretenir, parfois ils tombent malades, beaucoup de paramètres à tenir en compte », se désole-t-il. Seydi Sy précise également que lui, ses talibés se limitent uniquement à l’apprentissage du Coran même en période d’année scolaire.

La résilience dans la précarité
À 15 minutes à pied du daara d’Alpha Abdulahi Sy, le décor change radicalement. Le calme relatif de la rue de Yoff Layenne cède la place au brouhaha incessant d’un carrefour grouillant de vie : le garage des bus « tata ». Un lieu populaire du quartier. Niché au milieu de cet immense désordre organisé, entre magasins, les bus, ou encore les ateliers de soudure, se cache un autre lieu de foi, le daara de Boubacar Diallo.

Vêtu d’un boubou jaune traditionnel, coiffé d’un bonnet, Boubacar n’a rien d’un novice. « J’ai commencé à enseigner le Coran en 2010, » raconte-t-il, la voix calme face au tumulte environnant. « À l’époque, j’étais à la Médina et je vendais du charbon en parallèle. » Il a depuis déménagé de Keur Massar pour s’installer ici, au cœur de ce garage, en 2023.

L’endroit, étouffé entre un atelier de soudure et un atelier de mécanique, est d’une exigüité frappante. Pourtant, il abrite une soixantaine de talibés. Des conditions difficiles que Boubacar Diallo affronte avec un grand sens des responsabilités. « Les plus âgés sortent mendier ou chercher de l’aumône, mais je n’accepte pas que les plus jeunes partent », confie-t-Il. A l’en croire,c’est une question de survie et d’organisation. « À leur retour, on réunit tout ce qu’ils obtiennent pour acheter du riz et ses ingrédients et le préparer », fait-il savoir.

La soixantaine ajoute que ce sont les enfants qui préparent à manger, une formation qui leur sera utile toute leur vie. L’argent restant sert à d’autres besoins vitaux comme pour les soins médicaux des enfants en cas de maladie. Pour appuyer ses propos, il appelle un talibé pour lui demander d’apporter son ordonnance et ses médicaments. L’ordonnance, d’une valeur de 22 000 francs, est le fruit de sa sollicitude envers ce jeune talibé qu’il a accompagné à l’hôpital.

Droit à un rêve…
Dans ce daara où le manque de moyens est permanent, la réussite de certains talibés est une source de grande fierté. Abdou Khadre, 17 ans, le plus âgé des talibés, est un exemple. De teint clair, tenant le livre saint dans ses mains, il a déjà maîtrisé le Coran. « Mes parents sont en Guinée. Je suis là avec mon frère. J’ai commencé à apprendre le coran en 2023 et maintenant je l’ai maîtrisé. Il me reste une autre étape qui est la traduction, » explique-t-il, un air de fierté qui se lit également sur le visage de son maître, Boubacar Diallo. Le jeune homme rêve d’un lieu plus grand, équipé d’électricité et d’eau.

Boubacar conclut en expliquant que, malgré le manque de ressources, ils reçoivent parfois l’aide de bienfaiteurs. « Des gens viennent nous offrir de la nourriture, des vêtements pour les enfants, de l’argent, etc », affirme-t-il tout en formulant des prières pour les remerciés de leurs gestes de bienveillance.

Djibril DIAO

dekkbi.com

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