Construire une mosquée en France, Une aventure souvent pleine d’escarmouches juridiques

11:33 - July 07, 2007
Code de l'info: 1559867
France (IQNA)- Qu’elles soient au sous-sol d’un immeuble ou dans un pavillon anonyme sans panneau ni inscription, les mosquées de France sont souvent difficiles à repérer.
Depuis plusieurs semaines, de nombreux projets de construction de mosquées sont remis en cause par différentes juridictions administratives. Le 17 juillet 2006, le conseil municipal de Marseille votait une délibération qui accordait un bail emphytéotique à l’association La Mosquée de Marseille. Un moyen d’accommoder l’article 2 de la loi de 1905, selon laquelle « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Le Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret, ainsi que le Front national et le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers parlent de « subvention déguisée » et décident de déposer plainte. Victoire pour l’extrême droite : le bail accordé à la mosquée est annulé le 17 avril.
Le projet de construction de la mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis) connaît le même sort : le 26 juin dernier, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise annule le bail emphytéotique alors que la municipalité ainsi que la population semblent favorables au projet.
Sur 1 800 lieux de culte (églises, synagogues, temples) érigés en Ile-de-France après 1905, 450 l’ont été grâce aux baux emphytéotiques. La construction de mosquées poserait-elle un problème particulier ? « Sans aucun doute », affirme Mohammed Abdoulbaki, vice-président de la Fédération des associations musulmanes de Montreuil (Famm), qui rappelle qu’en « octobre 2003, deux baux emphytéotiques avaient été conclus : l’un pour la construction d’une mosquée, l’autre pour une synagogue. Aujourd’hui, un seul bail est remis en cause, celui de la mosquée ». Sans complexe, l’extrême droite assume ses actions en justice. Nicolas Bay, membre du MNR, affirmait début mai à la presse qu’il s’agissait « d’une stratégie pour lutter contre l’islamisation de la France ».
L’obstacle majeur serait-il donc l’extrême droite ? Pas sûr. Un autre enjeu entrave souvent les projets d’édification de mosquées : l’épineuse question du financement direct. De nombreuses mosquées (Évry, Lyon) ont été financées par des pays étrangers (Algérie, Maroc, Arabie Saoudite). Mais aujourd’hui, les musulmans souhaitent pouvoir construire leurs lieux de culte en toute indépendance. « Nous refusons les aides financières de l’étranger et ne comptons que sur la générosité des fidèles », explique M. Abdoulbaki. Mais les fidèles, majoritairement issus d’une immigration ouvrière, disposent de peu de moyens. Du coup, de nombreux projets sont mis en veilleuse en attendant que suffisamment de fonds soient réunis. Certaines associations s’arrangent alors comme elles peuvent en réalisant des collectes sur les marchés, après la prière du vendredi, ou à l'occasion de la fête de l’Aïd.
La communauté musulmane de Montreuil a dû faire face à d’importantes querelles internes qui « ralentissent le projet et qui profitent à ceux qui ne veulent pas d’une grande mosquée », explique Mohammed Abdoulbaki. La diversité ethnique de la communauté serait à l’origine de cette division : Maghrébins, Turcs, Comoriens, tous souhaitent maîtriser la gestion du lieu de culte ! L’Union des associations musulmanes de Créteil (UAMC) a été quant à elle confrontée à un « grand décalage générationnel ». « Les positions étaient très différentes sur de nombreux sujets », explique son président, Karim Benaïssa.
Selon Mohammed Abdoulbaki, une grande mosquée serait justement l’occasion de fédérer les musulmans : « à Montreuil, il y a sept mosquées, qui répondent chacune à un besoin de proximité mais qui ne permettent pas de réunir les musulmans lors des grandes occasions. » Par manque de places, les fidèles s’entassent souvent hors de la mosquée et prient sur des tapis de fortune. Plus inquiétant encore, de nombreuses mosquées ne satisfont pas aux normes de sécurité : « En cas d’incendie, l’évacuation serait impossible », s’alarme Mohammed Abdoulbaki.
Aboutir à la construction d’une mosquée résulte surtout d’une volonté politique qui n’existe pas toujours ! Pour obtenir le permis de construire délivré par la mairie, les musulmans doivent la plupart du temps faire face à de nombreuses oppositions de la part des municipalités, mais aussi de populations généralement frileuses. À Limoges par exemple, après avoir mis un bail à disposition de la communauté musulmane, le maire a dû faire marche arrière : les riverains ont rassemblé 500 signatures et déposé une plainte contre le projet de construction. Mais selon Okacha Ben Ahmad, vice-secrétaire général de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), les fidèles ont choisi de convaincre les habitants de la ville : « Nous avons organisé une rencontre avec les rive-rains et grâce à ce dialogue, les travaux sont à présent quasiment achevés. »
Cependant, depuis quelques années, la situation évolue positivement, en raison du poids électoral grandissant des jeunes musulmans. Mais cela ne plaît pas à tout le monde ! « Parmi les candidats aux élections législatives, affirme Mohammed Abdoulbaki, certains ont utilisé la communauté musulmane. Et en son sein, certaines associations ont appelé à voter, ou non, pour tel ou tel candidat.»
Quand les associations musulmanes se retrouvent à la tête d’un projet de construction, sont-elles seules face à la conception dudit projet, aux obstacles financiers et aux enjeux administratifs ? Le Conseil français du culte musulman (CFCM), dont le rôle est de régulariser les questions liées à la pratique religieuse, semble avoir pris une certaine distance avec cette question. Pourtant, la construction des mosquées faisait partie des objectifs énoncés par le CFCM lors de sa création en 2003. Si le Conseil est aujourd’hui en retrait, c’est en raison de querelles internes : « Nous connaissons de nombreuses divisions, qui nous paralysent. Mais il est évident qu’un jour, nous devrons mettre en place une commission chargée de régler cette question », affirme le délégué général du CFCM, Chems-eddine Hafiz.
Pour l’instant, les projets de construction sont pris en charge par des fédérations, telles que l’UOIF ou la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Selon le vice-secrétaire général de l’UOIF, « faciliter la pratique religieuse des musulmans est l’essence même de notre organisation. Nous accompagnons donc cette sorte de projets un peu partout en France ». L’UOIF entend faire disparaître les salles de prières installées dans les caves de HLM, et souhaite que la communauté musulmane, visible dans la société, ait des lieux de culte qui soient également visibles dans le paysage urbain. Quant à la FNMF, elle joue un rôle de médiateur : « Nous sommes les intermédiaires entre les pouvoirs publics et l’association à la tête du projet », affirme M. Merzak, délégué général de la Fédération.

Source: Temoignagechretien
captcha