L'islam au cœur de la campagne électorale turque

9:44 - May 12, 2015
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Ankara(IQNA)-Les élections législatives turques auront lieu le 7 juin prochain et le thème dominant de la campagne reste la religion. Après 13 ans de pouvoir conservateur, l'islam demeure un bon filon pour grappiller des voix.

La campagne électorale a démarré sur les chapeaux de roues. Tant littéralement que symboliquement. La nouvelle voiture de fonction dernier cri du plus haut dignitaire religieux de la Turquie fait l'objet d'une intense polémique et le chef de l'Etat sillonne le pays aux dépens du trésor public et au mépris de la Constitution pour demander des voix en faveur de son «parti de cœur», l'AKP.
Les thématiques et les discours religieux se multiplient à l'occasion. Plus de filles voilées à sauver, plus de barbus à contenter mais la rhétorique islamique n'a pas pour autant disparu. Un marronnier tant la culture religieuse innerve la société turque.
Voiture de luxe pour le grand mufti
Mehmet Görmez, le président du Diyanet (la Direction des affaires religieuses, la plus haute instance islamique de Turquie), a finalement jeté l'éponge. Le fonctionnaire, qui est le successeur direct du cheikhu'l islam de l'Empire ottoman, a été au centre d'une polémique à cause de sa nouvelle voiture de fonction à un million de livres (350 000 euros).
Selahattin Demirtas, co-président du HDP (parti démocratique des peuples, pro-kurde), a dénoncé un «gaspillage» dans un pays où des milliers de personnes n'ont rien à se mettre sous la dent. La controverse, qui date en réalité de la visite du pape en novembre 2014, a enflé pendant la campagne électorale.
Acculé, Görmez a renoncé à son véhicule «pour donner l'exemple» et pour sauvegarder la réputation de sa fonction. Le président de la République Tayyip Erdogan, agacé de ne pas être mis au courant de ce geste, a laissé exploser sa colère. «Si j'avais su, j'aurais dit au président du Diyanet 'ne restitue surtout pas cette voiture'. Cette fonction mérite de loin une voiture de ce type».
La suppression du Diyanet
Demirtas a poursuivi ses salves en promettant de supprimer le Diyanet pour avoir failli à sa mission. «Notre légitimité populaire dépasse de loin notre légitimité légale», a répliqué Görmez.
Le leader du HDP a critiqué les sermons sur commande, les esquives dans les prêches du vendredi notamment sur le vol et la corruption.
Une attaque qu'Erdogan a saisie au vol. «Ils veulent supprimer un Diyanet qui a traduit le Coran en kurde !». Le chef de l'Etat a même brandi le Livre saint lors d'un meeting, s'attirant les foudres de l'opposition qui a fustigé l'instrumentalisation de la religion. Un citoyen est allé jusqu'à saisir le Diyanet pour obtenir une fatwa sur l'utilisation du Coran lors les rencontres politiques. La réponse de l'institution a aggravé son cas. «Si l'individu en question vit conformément au Coran, ce n'est pas une instrumentalisation mais ça l'est s'il n'a aucun rapport avec le Livre saint».
Une aubaine pour la presse pro-gouvernementale qui a immédiatement lancé une campagne de dénigrement contre Demirtas. Ainsi, le journal Aksam a «révélé» que ce dernier avait mangé du jambon à Cologne lors de la campagne présidentielle le 21 juillet 2014. «Une scène que ne souhaiterait ni voir ni entendre les gens de l'Anatolie», a ajouté le quotidien, conscient de faire mouche.
Erdogan a rempilé en reprochant au co-président du parti pro-kurde une maladresse verbale. «Il dit que la Kaaba des ouvriers, c'est la place Taksim [fameuse place que le gouvernement refuse d'ouvrir lors des manifestations du 1er mai]. Ah mes chers frères kurdes ! Mon frère kurde est pieux. Le 7 juin [jour du vote], allez-vous donner une bonne leçon à ceux qui disent aux musulmans que Taksim, c'est comme la Kaaba ?».
Les «imam hatip» mis sur le tapis
Le CHP, le parti républicain du peuple, a réussi pour la première fois à ne pas se mêler directement de religion. Cette formation de gauche kémaliste est pourtant connue pour défendre une conception étriquée de la laïcité qui l'expose souvent à des critiques fondées.
En revanche, sa proposition de mettre en place un système éducatif fondé sur la répartition 1+8+4 (un an de maternelle, 8 ans de primaire et 4 ans de secondaire) en lieu et place de la répartition actuelle 4+4+4 entraîne automatiquement la fermeture des collèges professionnels d'imams et de prédicateurs, les fameux «imam hatip».

«On connaît ce scénario, Monsieur le président de la principale force d'opposition», a lancé Erdogan en direction de Kemal Kiliçdaroglu. «Un musulman ne se fait pas mordre deux fois par le serpent», a-t-il poursuivi avant de raconter une énième fois les difficultés qu'avaient rencontrées ses deux filles voilées et son fils issu d'un lycée d'imams et de prédicateurs. «Mon fils n'a pas pu étudier en Turquie à cause du coefficient qui frappait les élèves issus de lycées d'imams et de prédicateurs pour entrer à l'université. Il a fait un master à Harvard. Comme quoi un élève issu de ces lycées peut faire ses études à Harvard».
Plus tôt, Erdogan avait remis en cause le degré de piété de Kiliçdaroglu. «On connaît ton rapport au Coran», lui avait-il lancé, une référence à peine voilée à sa confession alévie. La presse pro-gouvernementale a immédiatement embrayé en diffusant une vidéo montrant le leader des kémalistes en campagne dans les provinces d'Amasya et de Corum. Lorsque l'appel à la prière, l'ezan, retentit, on voit Kiliçdaroglu arrêter son discours, une pratique assez diffuse en Turquie par respect au sacré, mais pour meubler le temps, il se joint à la foule qui l'applaudit. Des applaudissements en plein ezan, la séquence fait le tour des médias. Une attitude affichée comme peu islamique...
Erdogan : «je suis alévi si...»
En visite en Allemagne, Tayyip Erdogan a longuement énuméré les réalisations de l'AKP au temps où il était Premier ministre (2003-2014). Et lorsqu'il a évoqué la construction du 3e pont qui devrait relier les rives européenne et asiatique du détroit du Bosphore et porter le nom Yavuz Sultan Selim, un sultan ottoman connu pour avoir châtié des alévis au 16e siècle, le chef de l'Etat a réitéré sa position vis-à-vis de l'alévisme.
«Si l'alévisme, c'est aimer Ali [le gendre du Prophète], vous ne trouvez pas plus alévi que moi. Mais si l'alévisme est une religion, Recep Tayyip Erdogan n'est pas d'accord». L'électorat alévi, qui reste fidèle au CHP, n'est pas une cible traditionnelle de l'AKP mais les résultats des sondages qui montrent un affaissement des voix de sa formation a poussé Erdogan a développer un langage attrape-tout.
Le professeur Durmus Boztug, le seul candidat alévi à la députation du parti au pouvoir, est de plus en plus mis en avant. «Les alévis vont voter cette fois-ci pour l'AKP», assure l'ancien président de l'Université de Tunceli, bastion des alévis. «J'ai observé qu'ils étaient dans une tendance d'unité de manière intégrée, je parle bien d'intégration et non d'assimilation, avec l'axe principal de notre pays», a-t-il indiqué de manière sibylline.
Interrogé sur l'abondance de références religieuses, le vice-président de l'AKP, Besir Atalay, a accusé l'opposition de faire feu de tout bois. «C'est eux qui ont commencé en premier», s'est-il excusé.
zaman

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