Les traits tirés, mais la mine réjouie, il se prépare à enfourcher son vélo une dernière fois. Une centaine de kilomètres sépare Jeddah, où il se trouve, de La Mecque, en Arabie Saoudite. La dernière ligne droite d’un périple entrepris il y a deux mois au départ du parvis de la gare Montparnasse à Paris.
Dimanche 25 juin 2023, après plus de 5 000 km parcourus – « 5067 km très exactement »-, Nabil Ennasri a finalement pu atteindre la mosquée al-Harâm. Il fait partie des centaines de milliers de musulmans à s’y cette année pour accomplir le hajj, l’un des cinq piliers de l’islam.
Une double quête
Mais contrairement à nombre de pèlerins, pas question de s’y rendre en avion. 20 ans après son premier voyage à La Mecque, ce natif de Saint-Denis s’est lancé en 2023 dans une double quête. La première, de renouer avec les pèlerinages d’antan. « La saveur d’une prière après deux mois d’effort n’a absolument rien à voir que celle que l’on a après sept heures d’avion », partage-t-il avec actu Seine-Saint-Denis avant de détailler :
Vous avez eu le temps, au gré de votre voyage, de vous rendre compte de ce que représente le chemin vers le Sacré, la quête de sens, dans un déplacement qui rappelle celui des anciens.
Nabil Ennasri
La seconde, d’impliquer la communauté musulmane sur la question du réchauffement climatique. L’enjeu est colossal. Pendant le hajj, 2 millions de pèlerins sont attendus de 160 pays différents. L’avion est le moyen de transport plébiscité. La compagnie aérienne nationale, Saudia airlines, a renforcé sa flotte de 164 avions avec 12 avions supplémentaires. En Tunisie, un programme exceptionnel de 44 vols est mis en place pour transporter environ 10 000 pèlerins. Sauf que l’aviation est aussi le moyen de transport le plus polluant.
Pédaler pour la planète
En 2011, Nabil Ennasri affichait déjà son engagement écologique. Il signait une tribune Les musulmans face au défi climatique dans laquelle il déplorait que « l’impératif écologique semble loin des préoccupations immédiates des musulmans dans le monde ». « C’est le défi du siècle, le défi d’une génération », alerte-t-il.
Dix ans plus tard, celui qui est réputé pour son expertise sur le Qatar dresse le même constat. « Il y a un manque d’implication de la communauté musulmane au niveau mondial sur la question du réchauffement du climat, thématiques liées à la crise écologique, à la perte de biodiversité, à cet avenir incertain qui se profile devant nous », explique-t-il.
Pourtant, il lie aisément la foi religieuse et l’écologie. « Il y a des centaines de versets dans le Coran qui appellent à la méditation de la création », rappelle-t-il avant de poursuivre : « L’écologie, dans ses fondamentaux, c’est d’abord le respect de la création et le respect de la condition humaine dans le cadre d’un écosystème où la Terre, la nature, lui ont été données comme un dépôt et non pas comme un objet qu’il pourrait comme ça utiliser comme bon lui semble, et qu’il pourrait dégrader. »
Le hajj, un véritable business
Depuis le Covid, les autorités ont décidé d’instaurer une plateforme digitalisée, Nusuk, pour réserver son pèlerinage. “Ça coûte très cher. Pour une personne, c'est de l'ordre de 10 000 euros, le voyage, tout compris. L'inflation autour des prix du hajj ne fait que s’accentuer chaque année, et ça va devenir prohibitif pour énormément de musulmans”, dénonce-t-il. Là, ce voyage pour lequel il a mis de côté chaque mois pendant trois ans, lui est revient 5 000 euros, pour lui et ses deux acolytes.
Aujourd’hui, Nabil Ennasri pourrait être qualifié d’influenceur musulmo-écolo. Son aventure est suivie par 26 000 abonnés sur Twitter, 35 000 sur Instagram, 90 000 sur TikTok et plus de 100 000 sur Facebook. Le hashtag #HadjByCycle est créé pour l’occasion. « J’ai senti, au gré du voyage, beaucoup d’attention, beaucoup de considération, beaucoup de réconfort, et ça, ça m’a permis de booster mon énergie. »
Un voyage où il manque « de frôler la mort »
Mais traverser 13 pays à vélo ne se fait pas sans embûche. De « très visible et mise en valeur dans les pays d’Europe de l’Ouest », la petite reine s’est retrouvée peu à peu en territoire hostile.
En Roumanie, il manque de « frôler la mort » lorsque les trois risques principaux de son voyage ont fourni un cocktail explosif : des chiens errants, du vent et du trafic très dense. « Un chien a commencé à m’attaquer et j’ai été pris dans une bourrasque et j’ai failli passer à côté d’un poids lourd qui a manqué de peu de m’arracher le bras. Ça fait partie des surprises un peu désagréables », partage-t-il. Ce jour-là, il trouve refuge dans le van, qui l’a suivi jusqu’en Turquie. « C’était un véhicule de sécurité », présente-t-il.
Les mauvaises conditions climatiques ont aussi parfois entaché son enthousiasme. « En partant au printemps, on pensait qu’il ferait beau. Mais l’essentiel du temps, c’était des intempéries, même en Turquie. J’ai dû essuyer des tempêtes de grêle. » Après, l’arrivée dans le désert a été synonyme de tempêtes de sable. « Ça, ça fait partie des moments désagréables, mais qui, en même temps, vous permettent de mieux vous connaître. » No pain, no gain, affiche-t-il sur son profil Twitter.
Des souvenirs rapidement balayés par les bons. En premier lieu, il évoque l’hospitalité, notamment celle rencontrée en Arabie et en Jordanie, et les témoignages de sympathie. À son arrivée à Jeddah, Nabil Ennasri n’a pas manqué d’être invité par la Fédération nationale du cyclisme d’où il est reparti les bras chargés de cadeaux.
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