Selon Al Jazeera, le projet, connu sous le nom de Mushaf al-Ummah (« le Mushaf de la communauté »), est le fruit de huit années d’efforts menés en collaboration avec la fondation malaisienne Restu, spécialisée dans l’édition et la diffusion du Coran.
L’initiative marque une étape significative dans la préservation et la transmission des différentes lectures (qirâ’ât) du Coran, en offrant une version à la fois fidèle aux traditions manuscrites et adaptée aux usages numériques contemporains.
À travers ce travail, Sheikh al-Ma’sarawi ambitionne de doter l’ensemble du monde musulman d’un support de référence intégrant la richesse des lectures coraniques reconnues par les savants.
La vision de Sheikh al-Ma’sarawi et l’importance des lectures coraniques
Sheikh Ahmad al-Ma’sarawi, né dans le gouvernorat de Daqahliya en Égypte, a consacré sa vie au Coran. Après avoir mémorisé le texte sacré dès son enfance, il a poursuivi des études spécialisées à l’institut des lectures coraniques de Shubra, puis obtenu des diplômes supérieurs en sciences islamiques et en hadith à l’université al-Azhar. Sa carrière universitaire et son rôle de shaykh al-maqâri’ (maître des lectures) l’ont placé parmi les plus grands spécialistes de la discipline.
L’intérêt de Sheikh al-Ma’sarawi pour les lectures (qirâ’ât) est ancien. Il considère cette science comme un champ unique et rare, où seuls quelques savants dans le monde possèdent une maîtrise complète. Les qirâ’ât ne se limitent pas à la manière de réciter le Coran : elles englobent aussi l’art de la notation, les règles de pause et de reprise (waqf wa ibtidâ’), ainsi que la transmission orale des variantes reconnues.
Si la plupart des musulmans dans le monde récitent le Coran selon la lecture de Hafs d’après ‘Asim, d’autres régions, comme le Maghreb, utilisent les récitations de Warsh ou de Qalun, tandis que l’Afrique subsaharienne connaît la lecture de al-Duri.
En vivant en Malaisie, Sheikh al-Ma’sarawi a constaté l’intérêt des étudiants locaux pour ces sciences. Nombre d’entre eux étudient en Égypte, en Arabie saoudite ou dans d’autres pays, puis reviennent enseigner à leur communauté.
Toutefois, la rareté des supports accessibles limitait leur apprentissage. C’est ce besoin qui a nourri son projet : mettre à disposition un corpus complet de lectures, scientifiquement validé et accompagné d’un enregistrement sonore unique, afin que les apprenants puissent entendre et suivre le texte dans la version de leur choix.
Ce projet dépasse la simple transmission. Il vise à renforcer l’unité de la umma autour du Coran, en montrant la diversité des lectures reconnues comme une richesse et non une divergence. Pour Sheikh al-Ma’sarawi, le Mushaf al-Ummah est avant tout « un Coran pour toute la communauté musulmane », qui reflète l’ensemble des traditions authentiques.
La fondation Restu et la combinaison manuscrit-électronique
Le rôle de la fondation Restu, basée à Putrajaya, a été déterminant dans la concrétisation du projet. Spécialisée dans la publication de manuscrits coraniques, cette institution dispose de ressources humaines et techniques rares dans le monde islamique. Elle a mobilisé dix calligraphes professionnels pour écrire et orner le manuscrit du Mushaf al-Ummah, sous la direction de grands maîtres de la discipline, dont le célèbre Abd al-Baqi.
Sheikh al-Ma’sarawi insiste sur l’importance de la calligraphie, même à l’ère du numérique. Selon lui, la beauté du Coran manuscrit est une tradition qui remonte au temps du calife ‘Uthman ibn ‘Affan, qui fit rédiger plusieurs copies officielles.
Les ordinateurs ne peuvent produire que des polices standardisées, mais ils ne sauraient égaler l’art subtil du calligraphe, capable d’harmoniser les lettres et de donner au texte sacré une dimension spirituelle et esthétique. Dans de nombreux pays, comme le Qatar ou les Émirats, des concours sont organisés pour choisir les calligraphes des éditions officielles du Coran, preuve de la valeur de cet héritage.
La nouveauté du projet repose sur l’intégration entre le manuscrit et l’électronique. Chaque verset du Mushaf al-Ummah est associé à un enregistrement sonore de Sheikh al-Ma’sarawi, couvrant les dix lectures principales et plusieurs variantes. En scannant ou en accédant à l’édition numérique, l’utilisateur peut ainsi écouter la récitation correspondant à la lecture choisie. Cette technologie, inspirée d’une expérience antérieure menée au Pakistan, a été perfectionnée en Malaisie pour offrir un ensemble cohérent, homogène et d’une grande qualité académique.
L’enregistrement, qui a duré huit ans, constitue une première mondiale. C’est la première fois qu’un seul récitant, reconnu pour son autorité scientifique, enregistre la totalité du Coran dans toutes les lectures, garantissant une unité vocale et une exactitude méthodologique. Ce travail d’orfèvre offre aux lecteurs une référence inédite, que ce soit pour l’étude, l’enseignement ou la simple méditation.
La fondation Restu a également pris en charge l’aspect éditorial et la diffusion internationale. Grâce à son expérience et à ses moyens, elle a pu reproduire fidèlement les manuscrits et intégrer les fichiers sonores dans des applications électroniques. Le Mushaf al-Ummah sera ainsi disponible à la fois sous forme imprimée de haute qualité et via des plateformes numériques accessibles aux étudiants, aux enseignants et au grand public.
Le projet du Mushaf al-Ummah mené par Sheikh Ahmad al-Ma’sarawi en Malaisie, en collaboration avec la fondation Restu, constitue une étape majeure dans l’histoire contemporaine de la transmission du Coran. Il allie trois dimensions complémentaires : la rigueur scientifique des lectures coraniques, la tradition artistique de la calligraphie et les possibilités offertes par les technologies modernes.
En rendant accessibles les dix lectures authentiques à travers un support manuscrit et électronique, Sheikh al-Ma’sarawi répond à un besoin académique et spirituel tout en renforçant le lien entre tradition et modernité. Le Coran, transmis oralement et manuscritement depuis quatorze siècles, trouve ainsi une nouvelle forme de diffusion adaptée à l’ère numérique, sans rien perdre de son authenticité.
Au-delà de son aspect technique, ce projet porte un message symbolique : celui de l’unité de la communauté musulmane autour du Livre révélé. En nommant cette œuvre Mushaf al-Ummah, Sheikh al-Ma’sarawi rappelle que le Coran est l’héritage partagé de tous les croyants, dans leur diversité de pratiques et de cultures. Grâce à ce travail, la richesse des lectures coraniques devient accessible à tous, renforçant la continuité d’une tradition sacrée et vivante.