Son règne (1520-1566) fut remarquable par sa durée, par l’étendue de ses conquêtes territoriales mais aussi par son éclat culturel. Homme réputé pieux et plutôt austère, il fit bâtir de nombreux édifices religieux.
Ces complexes architecturaux qui entouraient les principales mosquées sultaniennes de l’Empire ottoman concentraient des activités religieuses diverses comme l’enseignement et des bâtiments d’utilité publique. Süleymaniye Cami est l’un d’eux et domine aujourd’hui encore de sa silhouette imposante la Corne d’Or.
Ce vaste complexe comprenait en plus de la mosquée, plusieurs madrassas (écoles religieuses), une école de médecine et un hôpital, une hôtellerie, un hammam (bain public), des logements pour les serviteurs de la mosquée, ainsi que les mausolées du sultan et de son épouse (Hürrem).
Le choix du sultan se porta sur une colline d’Istanbul idéalement placée, juste au-dessus de la Corne d’Or. Il confia la réalisation du complexe à son architecte, Mimar Sinan. Cet ancien ingénieur du corps d’élite des janissaires avait été nommé architecte en chef de la cour en 1538 à l’âge de 49 ans, après avoir été repéré par le sultan lors des campagnes militaires auxquelles il avait participé. Durant sa période d’activité, Sinan multiplia les réalisations en tout genre à travers les territoires de l’Empire comme à Istanbul (mosquées, ponts, tombeaux, bains publics, aqueducs, caravansérails, etc.). C’est à lui d’ailleurs que la ville doit sa transformation en capitale impériale ottomane. Il définira en outre les canons de la mosquée classique ottomane dite “de plan centré”, qui privilégie l’élévation vers le ciel et que l’on retrouve ici dans la Süleymaniye.
Süleyman II assista personnellement à la pose de la première pierre le 13 juin 1550. Celle-ci faisait suite à un long travail préparatoire de nivellement et de terrassement du terrain qui occupa l’architecte toute la première moitié de l’année.
Les historiens connaissent aujourd’hui le déroulement détaillé du chantier grâce aux livres de comptes tenus par l’administration des grands travaux qui ont été conservés. Durant la belle saison, entre 2 500 et 3 000 ouvriers (maîtres qualifiés et main-d’œuvre sans qualification) travaillaient en permanence sur les lieux, essentiellement des tailleurs de pierre et des maçons.
Cependant, l’énormité du chantier n’empêcha pas Sinan de mener de front plusieurs autres projets architecturaux que d’autres dignitaires de l’Empire lui commandaient (mosquées, caravansérails, palais, etc.).
Ces multiples entreprises retardèrent finalement la construction de la Süleymaniye, en raison des déplacements probables de la main-d’œuvre qui circulait alors d’un chantier à l’autre. Lorsque le souverain eut connaissance de ce retard, il menaça directement l’architecte lors d’une visite improvisée au mois d’août 1557. Sommé de finir les travaux en deux mois, Sinan n’eut alors d’autres choix que de faire travailler les ouvriers sans relâche de jour comme de nuit pour terminer à temps la réalisation du complexe. L’inauguration eut finalement lieu le 15 octobre 1557. Mais ce n’est qu’en avril 1559 que l’édifice sera achevé dans sa totalité.
Sept années furent donc nécessaires pour que la Süleymaniye soit construite. Pensée comme la manifestation d’un pouvoir, celui du sultan lui-même, cette œuvre architecturale venait alors consacrer un peu plus son empire comme la plus grande puissance d’Europe.
La mosquée se dresse au milieu d’une zone close de murs de 216 m de long sur 144 m de large et est précédée d’un parvis à portiques couronnés de 28 dômes avec quatre minarets d’angle particulièrement fuselés qui accentuent encore l’élévation de la coupole centrale. Les deux mausolées impériaux sont édifiés juste derrière le mur de la qibla, et les édifices de la fondation, construits tout autour de la mosquée, reprennent pour l’essentiel le schéma du parvis avec des colonnades à coupoles.
Le système à coupole flanqué de deux semi-coupoles retenu par Sinan pour la Süleymaniye s’inspire ici du modèle de la basilique Sainte-Sophie avec des petites coupoles d’angle et des murs latéraux de retenue.
Bâtie au VIe siècle sous le règne de l’empereur Justinien le Grand, Sainte-Sophie “subjugua les architectes pendant des siècles par la hardiesse de sa conception et la monumentalité de ses proportions”. Sinan chercha sa vie durant à égaler et à surpasser ce modèle.
Les différents volumes de la Süleymaniye ont été savamment étagés par l’architecte, conférant ainsi à la structure massive une harmonie certaine. Ils mènent par degré, en forme pyramidale, à cette coupole centrale de 26,50 m de diamètre qui culmine à une cinquantaine de mètres au-dessus du sol. L’intérieur de la mosquée est entièrement et uniformément baigné de lumière grâce aux nombreuses ouvertures qui ont été percées dans les murs. Le vaste espace central est comme un cube surmonté d’un hémisphère. Plusieurs piliers de granit ou de marbre ont été récupérés et réutilisés, certains ont été acheminés d’Alexandrie (Égypte) ou encore de Baalbek (Liban), tandis que le calcaire a été principalement extrait de carrières situées près de la mer de Marmara.
Des carreaux de céramique produits dans les célèbres ateliers d’Iznik (nord-ouest de l’Anatolie) ornent le mur de la qibla et les fenêtres en mêlant sur leur fonds blancs de subtiles nuances de bleu et de rouge vif. Ils reprennent pour certains d’entre eux la décoration calligraphique qui fut confiée au très réputé calligraphe Ahmed Karahisari.
La Süleymaniye, “première œuvre de maturité” dira Sinan à la fin de sa vie, est l’un des édifices les plus marquants d’Istanbul. Par ses dimensions, il surpassa tous les bâtiments religieux construits à l’époque égalant presque les dimensions de Sainte-Sophie.
Devenue la plus grande ville de l’espace méditerranéen avec une centaine de milliers d’habitants, la capitale impériale profita pleinement de ce nouveau complexe. Les revenus de la fondation collectée auprès des villages et autres domaines qui en dépendaient étaient considérables.
Quelque 800 personnes furent également employées dans la formation, la recherche ou l’approvisionnement de l’hôpital, de la cantine et des foyers. Ses nombreuses madrasas accueillirent en outre le degré supérieur de l’enseignement théologique.
Source: uoif