L'édifice reste le sanctuaire le plus ancien et prestigieux de l'Occident musulman. Élevée par Oqba Ibn Nafi Al Fihri à partir de 671 (correspondant à l'an 50 de l'hégire), alors que la ville de Kairouan est fondée, elle s'étend sur 900 m² et est considérée, dans le Maghreb, comme l'ancêtre de toutes les mosquées de la région.
Sous le règne de la dynastie des Aghlabides, la renommée de la mosquée et des autres sanctuaires de Kairouan fait que la ville se développe et se peuple peu à peu. L'université constituée de savants qui se réunissent dans la mosquée est un centre de formation aussi bien pour l'instruction de la pensée musulmane que pour les sciences profanes. On peut comparer son rôle à celui de l'Université de Paris durant le Moyen Âge. Avec le déclin de la ville, le centre de formation intellectuelle se déplace vers l'Université Zitouna de Tunis.
Peu de temps après sa construction, la mosquée est détruite vers 690, durant l'occupation de Kairouan par les Berbères initialement menés par Kusayla. Elle est reconstruite par le général ghassanide Hassan Ibn Numan en 703. Avec l'accroissement de la population de Kairouan, Hichâm ibn Abd al-Malik, calife omeyyade de Damas, fait effectuer au milieu du VIIIe siècle des travaux dans la ville et fait abattre puis reconstruire la mosquée à l'exception de son mihrab. En 772, une nouvelle reconstruction a lieu sous la direction de Yazid bin Hâtim.
Sous le règne des souverains aghlabides, Kairouan est à son apogée et la mosquée profite de cette période de calme et de prospérité. En 836, Ziadet Allah Ier fait reconstruire à nouveau la mosquée. En 863, Aboul Ibrahim agrandit l'oratoire, avec trois travées vers le nord, et ajoute la coupole au-dessus de l'entrée. En 875, Ibrahim II construit encore trois travées aux dépens de la cour qui est également amputée sur les trois autres côtés par des galeries doubles.
L'état actuel de la mosquée remonte donc au règne des Aghlabides aucun élément n'est antérieur au IXe siècle hormis le mihrab à l'exception de quelques restaurations partielles et de quelques adjonctions postérieures effectués en 1025, 1249, 1294 et 1618, à la fin du XIXe siècle, au début du XXe siècle et en 1972.
Plan de la Grande mosquée de KairouanSituée au nord-est de la ville, à l'extérieur de la médina, la Grande mosquée de Kairouan est un édifice aux allures de forteresse qui s'impose autant par les pierres de taille de 1,90 mètre d'épaisseur dont sont construits ses murs que par les renforts, les tours pleines et les solides contreforts en saillie qui les épaulent et les consolident. C'est un quadrilatère irrégulier plus long (138 mètres) du côté de l'entrée principale que du côté opposé (128 mètres) et moins large (71 mètres) du côté du minaret que du côté opposé (77 mètres).
On peut accéder à la cour par l'un des six portiques latéraux datant du IXe siècle et du XIIIe siècle les Ottomans modifièrent au XVIIe siècle le vestibule nord-ouest avec l'élévation d'un important pilier central entouré de quatre colonnes et découvrir alors un quadrilatère (environ soixante mètres par quarante mètres) entouré de galeries soutenues par des colonnes de marbres divers, de granit ou de porphyre d'époques différentes (romains, paléochrétiens ou byzantins) et qui ont été empruntées à des monuments antiques (notamment à Carthage).
La cour est pavée de dalles de pierre dont certaines ont été remplacées par des plaques en marbre blanc. Près de son centre se trouve un cadran solaire, qui permet de déterminer l'heure des prières, et un collecteur d'eau de pluie permet de remplir une vaste citerne souterraine soutenue par des piliers de sept mètres de haut. Les margelles des deux puits placés côte à côte portent les rainures des cordes remontant les seaux.
L’édification de ce mihrâb est auréolée d’une légende : son emplacement aurait été indiqué à ’Okba Ibn Nafi par une révélation divine (en fait, la qibla actuelle, trop au sud, s’écarte de 31 degrés de la direction de la Mecque). Toujours est-il que le décor du mihrâb actuel date probablement, comme le souligne al-Bakri[1], de l’époque de Ziyadat Allah (r. 836-841). Certains archéologues, en s’appuyant sur un texte d’al-Tujibi[2], ont conclu que les carreaux de revêtement proviendraient d’Iraq et auraient été mis en place à l’époque d’Abû Ibrahim Ahmad (r. 854-863). Mais quel que soit le prince qui a pris l’initiative de l’embellir, les dernières recherches permettent de réfuter son origine orientale. En effet, l’envers de l’un de ses panneaux en marbre porte une inscription romaine. De plus, la découverte récente d’une inscription gravée sur un des panneaux se réfère à son maître d’œuvre andalou.
Le mihrâb de la Grande Mosquée de Kairouan, au plan en fer à cheval, est formé par une niche en cul-de-four coiffée d’une demi-coupole. L’arc repose sur deux colonnes en marbre orange surmontées de chapiteaux de style byzantin.
L’intérieur de la niche est meublé de vingt-huit panneaux en marbre sculpté et ajouré, isolés les uns des autres par des bandeaux inscrits en kufique. Leur décor est composé d’une grande variété de motifs végétaux et géométriques, parmi lesquels la feuille de vigne stylisée, la fleurette, les ailes éployées, les enroulements végétaux organisés autour d’un axe central, le décor en coquille inscrit dans un bandeau arqué évoquant la forme d’un mihrâb, ainsi que les tresses.
Ce décor est marqué par l’influence byzantine véhiculée par l’art omeyyade. La niche est surmontée d'une demi-coupole construite en bois cintré revêtu d’un décor floral de pampres jaunes sur fond bleu nuit peint sur un enduit. L’origine équatoriale du bois constitue un témoignage important sur la présence d’un commerce entre l’Ifriqiya et les pays du sud du Sahara. La demi-coupole est ornée d’un décor.
Le décor de niches en coquille s’appuyant sur des colonnettes est bien connu dans l’art omeyyade de Syrie. Ces formes sont en fait surtout en faveur chez les Omeyyades de Cordoue ; on est en conséquence tenté de penser que l’artisan exprime ses origines andalouses. Les motifs des panneaux rectangulaires composés d’une fleurette étalée se retrouvent ailleurs dans la Grande Mosquée, et sont à rapprocher des « panneaux-consoles » de la mosquée d’al-Aqsa (Jérusalem, 709-715).
On songera également aux panneaux de pierre sculptés et peints qui ornaient le tambour de la Coupole du Rocher et qui se trouvent maintenant au musée du Haram. Tout ce décor est empreint de l’héritage byzantino-chrétien de Syrie.
La tresse de la partie inférieure du mihrâb est un thème décoratif assez rare à Kairouan. Ses origines sont à rechercher dans les motifs végétaux omeyyades, mais elle évoque aussi les thèmes sassanides, nettement sensibles dans l’art omeyyade. L'arabesque de la niche évoque l’art omeyyade, mais aussi les rinceaux de la façade de la mosquée des Trois portes (Kairouan, 866).
Les chapiteaux à décor de feuilles d'acanthe ressemblent à ceux de la mosquée d’'Amr Ibn al-'As à Fostat. On peut également voir dans certains motifs des panneaux en marbre des ressemblances avec des bois tulunides d’Egypte. La présence d'une inscription le long de la niche du mihrâb servira de modèle à plusieurs autres mosquées ifriqiyennes, maghrébines et andalouses.
L’encadrement rectangulaire du mihrâb est orné de carreaux de céramique lustrée polychrome et monochrome, alternant avec des carreaux à décor peint, venus de Mésopotamie pour la plupart, posés sur la pointe. Ce motif de carré sur la pointe perdura jusqu’à la fin du XIIIe siècle au moins. On le retrouve dans un tympan de la Grande Mosquée de Sousse situé à l’emplacement du premier mihrâb; il émigre ensuite en Égypte, où il orne différents monuments fatimides et mamluks du Caire.
Source: qantara-med