La décision était très attendue et a immédiatement suscité de vives
réactions. Jusqu’à ce jour, jamais encore le Tribunal fédéral n’avait
tranché sur le fond la question du port du voile islamique par des
élèves de l’école obligatoire. Sur un sujet qui continue à faire
polémique en Europe, la réponse apportée par la cour suprême, «dans un
contexte très émotionnel compte tenu de l’actualité», a souligné la juge
Florence Aubry Girardin, est résolument libérale.
Désaveu des autorités scolaires
Le
Tribunal fédéral a autorisé une jeune musulmane de la commune
saint-galloise de Sankt Margrethen, âgée de 14 ans, à porter en classe
son hijab, soit un voile couvrant la tête, le cou et les épaules et ne
laissant nu que l’ovale du visage. Les juges ont désavoué les autorités
scolaires de cette petite localité qui avaient interdit à la jeune fille
de porter son voile en classe sur la base d’un règlement bannissant
tout couvre-chef des salles d’école.
Selon les magistrats, une telle
interdiction apparaît contraire à la liberté religieuse protégée par la
Constitution dès lors qu’aucune circonstance particulière ne la justifie
– des tensions entre les diverses communautés ou une stigmatisation
d’autres jeunes musulmanes ne portant pas le voile par exemple. Or les
autorités scolaires n’avaient rien pu alléguer de tel, la présence en
classe de cette jeune fille voilée – qui avait finalement obtenu, grâce à
l’effet suspensif accordé à son recours devant le tribunal
administratif cantonal, le droit de porter provisoirement le voile –
n’ayant au contraire soulevé aucun problème particulier.
Une décision destinée à faire jurisprudence
Cette
décision, prise à une majorité de quatre juges contre un, est destinée à
faire jurisprudence. On ne doit pas cependant en déduire que le port de
la burqa en classe serait autorisé, ont précisé les juges. Cet arrêt ne
remet nullement en cause non plus la jurisprudence du Tribunal fédéral
prohibant le port du voile par les enseignantes.
S’il ne condamne pas
une solution éventuellement plus restrictive en présence d’une
situation plus tendue que celle de Sankt Margrethen, le jugement semble
fermer néanmoins la porte à des interdictions générales et
indifférenciées du voile en classe. Les autorités se voient dès lors
encouragées à rechercher des solutions amiables qui semblent d’ailleurs
être la règle depuis longtemps dans les cantons romands où le problème
n’a jamais pris l’ampleur constatée en Suisse alémanique.
Une première
En
2013, le Tribunal fédéral était resté à mi-chemin, se contentant, après
pas mal d’hésitations, de poser un premier principe: sans se prononcer
sur la conformité en soi de l’interdiction du voile avec la
Constitution, la juridiction suprême avait au moins exigé que les
cantons ou les communes, s’ils entendaient proscrire le voile, adoptent
au préalable une base légale formelle en ce sens.
Le règlement de
Sankt Margrethen, lui, remplissait cette condition formelle et ne
laissait guère d’autre choix aux juges que de se prononcer sur le fond.
Le voile islamique, a observé la cour, ne peut être mis sur le même plan
que la casquette de hip-hop, également prohibée par la commune
saint-galloise. «Porter le foulard ne rend ni impoli ni indiscipliné», a
fait valoir la juge Florence Aubry Girardin. Il n’empêche pas non plus
d’apprendre, a-t-elle constaté, citant un texte du constitutionnaliste
Jean-François Aubert.
«Un obstacle à l’intégration»
Dans
ces conditions, c’est ailleurs qu’il faut chercher les raisons qui
pourraient, le cas échéant, justifier une prohibition du voile en
classe. L’intégration de tous les écoliers quelle que soit leur origine,
l’égalité des sexes, la volonté d’éviter les tensions entre les
communautés sont des préoccupations toutes légitimes, ont reconnu les
juges, mais encore faut-il que leur mise en péril soit étayée par des
indices concrets. Un seul des magistrats, le juge Hansjörg Seiler, a
considéré que les autorités sont en droit d’interdire le voile à l’école
sans qu’on ait à exiger d’elles qu’elles apportent la preuve que, sans
cette interdiction, des désordres seraient à craindre.
Vendredi, la
commune a réagi en se disant convaincue que le port du voile à l’école
demeure «un obstacle à l’intégration». «Cela montre que ces gens ne
doivent pas du tout s’intégrer et peuvent disposer d’un régime
d’exception», a déclaré pour sa part à l’ATS le conseiller national UDC
soleurois Walter Wobmann, qui préside un comité d’initiative pour une
interdiction de la burqa sur tout le territoire suisse.
letemps.ch