Maroc : quand le coronavirus ferme les mosquées

9:15 - March 23, 2020
Code de l'info: 3472334
Téhéran(IQNA)-Au royaume du Commandeur des croyants, plus aucune prière n'est possible à la mosquée, pas même celle du Vendredi. Inédit. Par Anis Bounani, à Tanger
De mémoire de Marocain, c'est la première fois que la prière du vendredi est interdite dans les mosquées. A Tanger comme dans les autres villes et villages du royaume chérifien, c'est une fatwa édictée par le Conseil des Oulémas, la haute autorité ayant le monopole des consultations religieuses, qui a pris cette décision inédite et courageuse à la demande du Roi Mohammed VI, commandeur des croyants. Ainsi, la décision de fermer tous les lieux de culte a été prise au plus haut niveau de l'Etat dans le dessein d'endiguer la pandémie du nouveau coronavirus baptisé Covid-19 et apparu à Wuhan, dans la province du Hubei, en Chine. Il faut dire que la situation est grave car ce 21 mars, 86 cas ont été confirmés. Trois décès ont été enregistrés pour deux rétablissements.
 
« Prière de prier dans vos maisons ! »
 
Alors qu'ils ont l'habitude d'appeler à la prière cinq fois par jour les fidèles musulmans prompts à se rendre dans les mosquées, les imams prononcent désormais une réplique déroutante à plus d'un titre. « Restez chez vous, faîtes la prière chez vous, que dieu vous garde ! », disent-ils désormais.
 
« Il faut se plier à la volonté de l'Etat, affirme un imam d'une mosquée de Tanger. En période de pandémie, ce n'est pas un pêché de prier chez soi. Au contraire, le pêché serait plutôt de mettre la vie de centaines voire de milliers de personnes en danger ». Un avis partagé par une grande partie des Marocains qui ont cessé de se rendre à la mosquée et qui, par ailleurs, travaillent à raisonner les plus récalcitrants.
 
Un vécu particulier dans les familles
 
C'est le cas de Saad, un sexagénaire qui indique n'avoir jamais raté une des 5 prières à la mosquée depuis des années « … mais que voulez vous qu'on y fasse ? Ma santé et celle de mon entourage est primordiale. Hier, certains priaient devant la porte fermée d'une mosquée... Je leur ai signifié que cette attitude était incorrecte ». Sa femme par contre, Fouzia, femme au foyer, est déstabilisée par la situation : « Jamais Saad n'a été à la maison à cette heure-ci. Cela m'a fait bizarre… Même quand il est très malade, il fait en sorte d'aller à la mosquée pour la prière du Vendredi ! ». Du côté des enfants, l'étonnement est aussi de mise. 
 
Mon père est particulièrement décontenancé. La mosquée fait véritablement partie de sa routine de vie depuis des dizaines années, c’est son "safe space". Mais il est heureux d’être à la maison. Et je suis heureuse que le Maroc prenne ses responsabilités.
 
— Socially Distant Amina (@AminaZKF) March 20, 2020
 
20 mars, un vendredi inédit
 
Ce vendredi 20 mars, la situation a été inédite dans l'histoire du pays : les mosquées du royaume ont été toutes cadenassées. Un vrai bouleversement dans les habitudes religieuses. Les Marocains l'ont vécu dans la tristesse et la consternation même si, pour la sécurité sanitaire de tous, ils l'ont accepté. La preuve : une bonne majorité de la population a suivi le prêche du vendredi de chez elle, devant la télévision. Cela dit, malgré l'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire et le confinement obligatoire dès ce vendredi 20 mars, quelques croyants ont trouvé le moyen de se trouver devant les portes fermées des mosquées. Explication : ils estiment que l'Etat doit permettre l'accès « pour demander à Dieu de réduire les dégâts du coronavirus dans le pays ».
 
Prise de conscience généralisée
 
Face à l'augmentation exponentielle de cas de Covid-19 et depuis son apparition au Maroc le 3 mars dernier, les autorités marocaines ont appliquée une batterie de mesures préventives. Parmi elles, la fermeture des écoles, des cafés, des restaurants, des bars, des hammams, des clubs sportifs et mêmes des frontières aériennes et terrestres. « Ces fermetures qui ont précédé celles des mosquées m'ont préparé psychologiquement on dirait... Je suis choqué. Franchement, jamais je n'aurais imaginé une chose pareille. Mais, pour la sécurité sanitaire de tous, j'ai fini par admettre cette décision qui me paraissait illogique les premiers jours de la pandémie », nous révèle Fadel, un jeune commerçant 
 
Une pensée émue : Nous sommes le 20 mars 2020, 1er Vendredi sans prière à la Mosquée dans l’histoire moderne de notre pays.
Ns savons tous que cette décision était NÉCESSAIRE et fût prise avec RESPONSABILITÉ et COURAGE. Elle n’a qu’un seul but : protéger nos concitoyens��
آمين
 
— El Mesbahi Kamal (@Meska12) March 20, 2020
 
Pour sa part, le président du Conseil local des Oulémas de la préfecture Skhirat-Témara, Lahcen Sguenfel, a souligné qu' « il ne s'agit pas d'empêcher les gens de prier, mais plutôt de protéger la santé et le bien-être des citoyens », notant que « dans la religion musulmane, la protection et la préservation des âmes , précède la préservation des rites ». Même son de cloche du côté d'Abdelouahab Rafiki, un ex-salafiste marocain très actif sur les réseaux sociaux. « Ce n'est pas normal de mettre nos vies en danger en maintenant ce rite. La religion musulmane n'impose pas la prière en groupe en cas de situation particulière. », a-t-il affirmé.
 
Des points de vue à contre-courant quand même
 
Cela dit, on est loin de l'unanimité. Bien que la grande majorité des Marocains ait fini par se soumettre à cette décision de fermeture des mosquées et de confinement, une petite partie de la société marque son hostilité exprimant de la colère voire du désarroi. Idriss, étudiant-chercheur en chariâa islamique ne mâche pas ses mots : « Comment voulez vous qu'Allah retire sa malédiction (ndlr la pandémie) si on ne le supplie pas dans sa propre demeure ? Je ne suis pas d'accord avec cette fermeture, cela m'offense au plus profond de moi-même ! ». Certaines figures du mouvement salafiste au Maroc ont elles aussi exprimé leur désaccord face à la fatwa de fermeture des mosquées dans le royaume. « En cas d'épidémies, nos aïeux ne fermaient pas les mosquées mais s'y réfugiaient ! », a écrit Omar Haddouchi sur sa page Facebook avant de supprimer sa publication de peur de subir le même sort que son collègue salafiste, Abemhamid Abou Naim.
 
Seul ce dernier a été arrêté le 17 mars par les forces de l'ordre pour avoir publié une vidéo jugée haineuse dans laquelle il a critiqué avec virulence la fermeture des mosquées dans le pays, qualifiant la décision d' « illégale du point de vue de la charia » et accusant l'Etat d' « apostasie ».
 
Les forces de l'ordre sur le qui-vive
 
Dans le même registre, la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) avait procédé le 18 mars à l'arrestation d'une personne prise en flagrant délit d'accrochage d'une banderole sur le pare-brise de sa voiture. Il incitait à la désobéissance et à l'abstention d'appliquer la mesure préventive de fermeture temporaire des mosquées.
 
Contacté par Le Point Afrique, un agent des forces de l'ordre ayant requis l'anonymat a confié : « Nous sommes en état d'urgence sanitaire. Nous sommes en pleine pandémie. Ça ne rigole plus. Nous avons reçu l'ordre d'arrêter tous ceux qui dérogent à cette situation exceptionnelle. On ne peut pas laisser en liberté des individus portant atteinte à la santé des citoyens. Nous ne fermerons pas l'œil non plus sur tous ceux qui partagent des fake news sur internet relatifs au Coronavirus ou incitent les gens à la désobéissance civile. »
 
L'impact de l'annulation du pèlerinage à La Mecque
 
La fermeture des mosquées dans des pays musulmans est une question sensible mais dans un tel contexte de confinement, elle s'impose. Nul doute que la décision d'annuler le petit et le grand pèlerinage en Arabie Saoudite en a facilité la compréhension. C'est ainsi que plusieurs pays africains l'ont adoptée encouragée par l'Union internationale des Oulémas Musulmans et même par l'Université d'Al Azhar en Egypte. Ce samedi 21 mars, à Tanger comme partout à travers le Maroc, les rues et boulevards sont déserts. Confinement oblige, personne n'a le droit de quitter son domicile sans présenter une attestation de déplacement dérogatoire délivrée par les autorités locales ou par l'employeur du concerné. Des mesures appliquées sous d'autres cieux et qui apparaissent comme primordiales dans la démarche de prévention nécessaire pour endiguer cette pandémie du nouveau coronavirus, le Covid-19.
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