« Mes études montrent que plus de 73 % des femmes musulmanes du Québec envisagent de quitter la province », a déclaré Nadia Hasan, professeure adjointe à l’École d’études sur le genre, la sexualité et les femmes de l’Université York, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Au moment où ces lignes étaient écrites, Le Devoir n’avait pas encore pu consulter les études en question. La chercheuse a toutefois détaillé sa méthodologie. Financée par Femmes et Égalité des genres Canada et commandée par le Conseil national des musulmans canadiens, l’analyse est basée sur les réponses à un sondage de 411 musulmanes vivant au Québec. Les trois signataires ont également mené de longues entrevues avec 10 de ces femmes, et sondé 750 membres de la population générale québécoise.
Les résultats ne sont pas « acceptables », a indiqué Mme Hasan. « Ce n’est pas ce que nous appelons l’harmonie sociale. » Elle affirme que les « impacts de la loi 21 dépassent largement [son] cadre », expliquant que des femmes qui postulent à des emplois dans le secteur de la santé se font questionner sur leur identité religieuse.
« Capacité à discriminer » légalisée
La représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, Amira Elghawaby, elle aussi présente lundi, a réitéré que la Loi sur la laïcité de l’État est « discriminatoire ». « Je suis claire, et c’était toujours clair que les effets de cette loi sont discriminatoires sur les minorités religieuses, et que les minorités musulmanes, les femmes musulmanes qui portent le voile sont discriminées », a-t-elle dit au Devoir.
« Les femmes musulmanes déclarent se sentir visées et être en passe de devenir des boucs émissaires politiques au Québec, a souligné Mme Hasan. Elles redoutent ce que le gouvernement québécois va faire de plus pour les priver de leurs droits. »
« La loi doit être abrogée. Il n’y a aucun doute à ce sujet, a-t-elle ajouté en entrevue avec Le Devoir. Nous avons légalisé notre capacité à discriminer. »
Montée « inquiétante » de l’islamophobie
Mmes Hasan et Elghawaby témoignaient lundi matin dans le cadre d’une étude sur « l’islamophobie et les mesures supplémentaires qui pourraient être prises pour répondre aux craintes légitimes exprimées par la communauté musulmane du Canada ».
Les deux femmes ont fait part d’une montée de l’islamophobie au pays. « Au cours des huit derniers mois, la situation n’a fait qu’empirer, a déclaré Mme Elghawaby. Nous assistons à une montée terrifiante de l’islamophobie partout, amplifiée par le racisme antiarabe et antipalestinien. » Ces actes haineux vont de la « discrimination » au « vandalisme » en passant par le « harcèlement », et placent la communauté dans une « peur constante ». « Je suis profondément inquiète de tout cela, et je crains que les choses ne fassent qu’empirer. »
Selon Nadia Hasan, beaucoup d’attaques ciblent « les femmes qui portent un hidjab ». Certaines se le font « arracher », d’autres reçoivent des « coups dans la tête ou dans l’estomac » ou se font « cracher dessus ». « Ce à quoi les femmes musulmanes font face est tout à fait atroce. »
Il y a à peine deux jours, un homme a mis le feu à la maison d’une famille de London, en Ontario, qui affichait devant son domicile son soutien à la Palestine. La police a lancé une enquête sur un « possible incident motivé par la haine », deux jours après que la Ville a souligné le troisième anniversaire de l’attaque meurtrière contre une famille musulmane.
« La déshumanisation des musulmans qui se développe au Canada est inquiétante et est similaire à l’ère qui a suivi le 11 septembre 2001 », a prévenu Mme Elghawaby, jugeant que l’étude du comité est « non seulement nécessaire », mais « urgente depuis longtemps ».
Le Devoir