Le jeûne en Turquie : d’une pratique cachée à une identité nationale

11:23 - March 26, 2025
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IQNA-À l'époque ottomane, le jeûne du Ramadan était une pratique librement observée en Turquie. Cependant, avec l’arrivée au pouvoir de Mustafa Kemal Atatürk et l’adoption de politiques laïques strictes, la visibilité des traditions islamiques a été réduite, et les musulmans pratiquants ont rencontré des difficultés croissantes.

Selon Al-Jazeera, le jeûne n’était pas seulement une obligation religieuse, mais il est devenu, à certaines périodes, un symbole de résistance face à la sécularisation imposée par l’État. Des mosquées ont été fermées, et dans certains milieux, le fait de jeûner était perçu comme un signe de retard social. Beaucoup de Turcs ont dû pratiquer leur foi en cachette, comme s’ils commettaient un acte illégal.

Malgré ces restrictions, le Ramadan est resté profondément ancré dans la culture turque. Transmis de génération en génération, il a fini par redevenir une composante essentielle de l’identité nationale et religieuse du pays.

Les premières restrictions sur le jeûne

En 1923, la République de Turquie est fondée. Un an plus tard, Atatürk abolit le califat et met en place une série de réformes pour séparer l’État de la religion. Les tribunaux islamiques sont fermés, les écoles religieuses supprimées, et en 1926, le calendrier hégirien est remplacé par le calendrier grégorien, effaçant ainsi les fêtes islamiques des registres officiels.

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Bien que le jeûne n'ait pas été formellement interdit, des mesures indirectes ont été mises en place pour le décourager. Selon l’historien Binyamin Koçaoğlu, le gouvernement républicain associait cette pratique à l’extrémisme religieux et tentait de la reléguer à la sphère privée.

Dès 1927, des documents officiels montrent que dans l’administration, le fait de ne pas manger pendant la journée était perçu comme un signe d’opposition aux valeurs républicaines. Certains ministères interdisaient même aux fonctionnaires de mentionner le jeûne au travail.

Dans les écoles, les élèves étaient parfois contraints de boire de l’eau devant leurs enseignants pour prouver qu’ils ne jeûnaient pas. L’armée appliquait des règles encore plus strictes : des officiers surveillaient les repas des soldats et ceux qui refusaient de manger étaient convoqués pour interrogatoire.

À partir des années 1930, la répression s’intensifie. Les mosquées sont fermées, l’appel à la prière en arabe est interdit et des traditions ramadanesques, comme les tambours du s’hour, sont supprimées sous prétexte qu’elles étaient incompatibles avec la modernité.

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L’affirmation de la laïcité 

En 1928, une modification de la Constitution supprime la mention de l’islam comme religion d’État, officialisant ainsi la laïcité du pays. Cette transformation ne se limitait pas aux textes de loi, mais influençait aussi la vie quotidienne : dans les grandes villes comme Istanbul et Ankara, les cafés et restaurants restaient ouverts en journée pendant le Ramadan, une rupture avec les traditions ottomanes.

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Certaines institutions organisaient des repas en plein jour pour leurs employés, envoyant ainsi un message clair : le jeûne n’était pas compatible avec l’idéologie républicaine. Ceux qui refusaient de manger en public risquaient d’être marginalisés ou sanctionnés.

Le retour progressif du Ramadan dans la sphère publique

C’est dans les années 1950 que la politique turque amorce un tournant. Sous le gouvernement d’Adnan Menderes, le Parti démocrate commence à assouplir les restrictions religieuses. L’un de ses premiers actes symboliques fut de rétablir l’appel à la prière en arabe, signe d’une réconciliation entre l’État et l’islam.

Cette évolution montre que la répression religieuse ne conduit pas nécessairement à une sécularisation totale, mais peut au contraire renforcer l’attachement des populations à leur foi. Malgré les décennies de pression, le Ramadan n’a jamais disparu de la culture turque. Aujourd’hui, il est célébré librement, s’intégrant pleinement à l’identité nationale et religieuse du pays.

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