Musulmans et chrétiens nigérians contre l'intervention de Trump

14:14 - November 04, 2025
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IQNA-Des Nigérians de diverses confessions ont dénoncé lundi les menaces du président américain, Donald Trump, d’une intervention militaire, après les récentes attaques visant des chrétiens dans le pays d’Afrique de l’ouest.

Divisé presque équitablement entre un nord à majorité musulmane et un sud majoritairement chrétien, le Nigéria est en proie à de nombreux conflits qui, selon les experts, ont tué des chrétiens et des musulmans sans distinction.

Mais ces dernières semaines, des déclarations évoquant un « génocide » contre les chrétiens au Nigéria ont trouvé un large écho dans les milieux conservateurs aux États-Unis et en Europe.

« Des chrétiens sont tués, nous ne pouvons pas nier que des musulmans le sont aussi », a déclaré à l’AFP Danjuma Dickson Auta, un responsable communautaire chrétien au Nigéria.

Samedi, dans une publication explosive sur sa plateforme Truth Social, Donald Trump a déclaré avoir demandé au Pentagone d’élaborer un plan d’attaque possible au Nigéria.

À la question d’un journaliste de l’AFP à bord de l’avion présidentiel Air Force One pour savoir s’il envisageait une intervention terrestre ou des frappes aériennes au Nigéria, le président américain a répondu : « Cela pourrait être beaucoup de choses. J’envisage beaucoup de choses. »

« Ils tuent les chrétiens et ils les tuent en très grand nombre. Nous n’allons pas laisser ça se produire », a-t-il encore affirmé.

Rejetant ces accusations, le président nigérian, Bola Tinubu, a déclaré en fin de semaine que « la liberté religieuse et la tolérance ont toujours été au cœur de notre identité collective ».

Des violences entre agriculteurs et éleveurs
Originaire de l’État du Plateau, où chrétiens et musulmans cohabitent depuis des décennies, M. Auta rappelle que la région a connu de violentes flambées de violences, notamment lors des émeutes meurtrières de Jos en 2001 et 2008.

Ces dernières années, le Plateau et d’autres États du « Middle Belt » nigérian ont été le théâtre d’affrontements sanglants entre agriculteurs majoritairement chrétiens et éleveurs peuls musulmans, sur fond de raréfaction des terres et des ressources.

Ces violences ont fait des centaines de morts, souvent parmi les agriculteurs, avec des villages entiers réduits en cendres.

Des attaques de représailles visant des éleveurs peuls ou leur bétail, moins médiatisées, font également des victimes.

Selon les experts, bien que le conflit semble s’articuler autour de questions ethniques et religieuses, ses causes profondes résident dans la mauvaise gestion foncière et l’absence d’autorité dans les zones rurales.

Certains habitants du Plateau évoquent un « génocide », souvent perçu à travers une dimension ethnique plutôt que religieuse.

Des groupes séparatistes du sud-est ont néanmoins popularisé l’idée d’un « génocide chrétien » ces dernières années.

Une société américaine, Moran Global Strategies, a même mené un lobbying à Washington pour présenter la situation comme une persécution religieuse, selon des documents publics.

Abuja propose une rencontre Trump–Tinubu
Le Nigéria fait aussi face à l’insurrection djihadiste de Boko Haram dans le nord-est et à des bandes armées opérant dans le nord-ouest. Ces régions, majoritairement musulmanes, comptent aussi parmi les principales victimes des violences.

« Même ceux qui propagent cette idée de génocide chrétien savent que ce n’est pas vrai », estime Abubakar Gamandi, musulman et chef d’un syndicat de pêcheurs de l’État de Borno, épicentre du conflit.

Jervin Naidoo, analyste pour Oxford Economics, cabinet d’analyses et de prévisions économiques, estime que « si la menace terroriste est réelle », la rhétorique américaine musclée pourrait être liée au refus d’Abuja d’accepter des personnes expulsées non nigérianes dans le cadre de la politique migratoire renforcée de Donald Trump.

« Cette position contraste avec des pays comme l’Eswatini, l’Ouganda, le Rwanda et le Ghana, qui ont accepté. En réponse, les États-Unis ont durci les conditions d’obtention de visas pour les Nigérians », a-t-il souligné.

Chukwuma Soludo, gouverneur chrétien de l’État d’Anambra, a pour sa part rejeté toute idée d’intervention américaine, rappelant que Washington devait « agir dans le respect du droit international ».

Certains Nigérians voient néanmoins dans la polémique un rappel de l’insécurité persistante dans le pays.

Le pasteur Joseph Hayab, président de l’Association chrétienne du Nigéria pour le nord, a salué les propos de Trump comme un « signal d’alarme ». « Certains déforment ses paroles comme s’il voulait attaquer le Nigéria. Non, il veut s’en prendre aux terroristes », a-t-il déclaré à l’AFP.

Face à la montée des tensions, la présidence nigériane a proposé une rencontre entre les deux dirigeants.

Le porte-parole du président Bola Tinubu, Daniel Bwala, estime que « Donald Trump a son propre style de communication » et que son message visait à « forcer une discussion directe entre les deux dirigeants afin de coordonner leur lutte contre l’insécurité ».

Trump avait déjà suscité la controverse en dénonçant un prétendu « génocide » contre la communauté afrikaner en Afrique du Sud, à qui il avait proposé l’asile.

Ses détracteurs y voient une composante de sa diplomatie au ton provocateur.

Le Devoir

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