
Lancé en 2019, cet événement culturel a rapidement attiré des réalisateurs et des producteurs internationaux, donnant l’image d’un pays engagé dans une nouvelle dynamique artistique et culturelle. Les organisateurs affirment vouloir offrir une plateforme relativement libre, sans censure stricte, permettant la diffusion d’œuvres variées et favorisant les échanges culturels.
Pour certains acteurs du milieu cinématographique, la réouverture des salles de cinéma et la tenue d’un festival international constituent une avancée indéniable. Elles permettraient l’émergence de nouveaux talents, la diversification des récits et la visibilité de films qui, auparavant, n’avaient que peu d’espaces d’expression. Dans cette perspective, le festival peut être perçu comme une opportunité réelle pour le cinéma arabe et pour l’intégration de l’Arabie saoudite dans les réseaux culturels mondiaux.
Entre « blanchiment d’image » et limites de la liberté d’expression
Cependant, de nombreuses critiques remettent en cause les objectifs profonds de cet événement. L’une des principales objections avancées est que le festival pourrait servir à « blanchir » l’image internationale de l’Arabie saoudite, notamment en ce qui concerne son bilan en matière de droits humains. Des analystes estiment que le recours au cinéma, à l’art et au prestige des festivals internationaux relève d’une stratégie de communication visant à présenter une image moderne, ouverte et tolérante du royaume, alors que les restrictions politiques et sociales demeurent importantes.
Dans la pratique, certaines œuvres abordant des sujets sensibles, comme la critique directe du pouvoir ou des problématiques sociales internes, rencontrent encore des obstacles. Elles sont parfois diffusées de manière limitée ou soumises à des contraintes implicites. Cette situation alimente l’idée que, malgré la diversité affichée des films et la présence de grands noms du cinéma mondial, le festival ne garantit pas une véritable liberté artistique. Pour ses détracteurs, il fonctionne davantage comme un outil d’amélioration de l’image internationale que comme un espace cinématographique pleinement indépendant.
Un autre axe de critique concerne le contraste entre l’identité de l’Arabie saoudite en tant que pays islamique, abritant les lieux saints de l’islam, et certains comportements observés dans les cercles du festival. Des scènes jugées permissives, l’absence visible de codes vestimentaires traditionnels et la mise en avant de modes de vie occidentaux renforcent le sentiment d’un décalage culturel et éthique. Aux yeux de certains observateurs, cette contradiction affaiblit le potentiel du cinéma à promouvoir des valeurs spirituelles et morales propres à la culture islamique.
Le festival a également organisé, lors de son édition actuelle, une rencontre consacrée aux « femmes pionnières » dans le cinéma, réunissant des professionnelles du monde arabe et d’autres régions. Les objectifs affichés incluaient l’autonomisation des femmes dans l’industrie cinématographique, le partage d’expériences et l’encouragement à la coopération internationale. Toutefois, ces initiatives entrent en tension avec la réalité des restrictions persistantes imposées aux femmes dans le pays. Le cas de l’activiste Loujain al-Hathloul, emprisonnée pendant des années pour son engagement en faveur des droits des femmes, reste emblématique. La chercheuse et militante Hala al-Dosari souligne que les réformes mises en avant par les autorités sont souvent symboliques et promotionnelles, sans supprimer les limitations concrètes auxquelles les femmes sont confrontées.
La cinquième édition du festival, organisée du 4 au 13 décembre, illustre ainsi un paradoxe profond : entre une véritable opportunité culturelle et artistique, et une utilisation stratégique du cinéma à des fins de communication politique. Tant que la liberté d’expression et de critique ne sera pas pleinement garantie, le Festival du film de la mer Rouge restera marqué par cette ambivalence, oscillant entre ouverture affichée et contrôle persistant.